Certains diraient qu’il a eu l’inconscience de sa jeunesse. À 39 ans, Emmanuel Macron, a été élu Président de la République française, avec plus de 65% des voix.
Personne ne l’a vu venir et pourtant c’est l’homme de toutes les performances : le plus jeune Président que la France se soit donné; avec le plus gros score après les 80% de Chirac en 2002 face, déjà, à Le Pen père; soutenu par un parti, ou plutôt un mouvement, créé il y a à peine un an, pour porter une candidature dont personne ne voulait, à laquelle très peu croyaient, et qu’il a imposée seul contre tous. Quant à lui, Rastignac sorti d’on ne sait d’où, parfaitement inconnu des Français il y a encore trois ans, quand François Hollande l’a nommé Ministre de l’économie, il a pris Paris sans coup férir, à la hussarde.
Celui qui avait quatre ans lors de l’élection de François Mitterrand en 1981 s’est glissé dimanche soir dans l’habit présidentiel avec la geste mitterrandienne comme s’il en était un vieux compagnon de route. La cérémonie organisée au Louvre, le palais des rois de France, devant la pyramide voulue par François Mitterrand, au son de l’hymne européen (l’hymne à la joie), cumulait les symboles et les références qui avaient pour but de réinscrire ce quinquennat dans une continuité française, interrompue par les deux précédents (Sarkozy, Hollande). Si le terme n’était par trop désobligeant, on pourrait dire qu’Emmanuel Macron a réussi en trois ans le « casse du siècle », propre et sans bavure, sur la République française. Il a rassemblé deux français sur trois, le rêve jamais atteint en des décennies de vie publique par d’illustres anciens, comme le Président Giscard d’Estaing ou Michel Rocard.
Ce qu’il a fallu d’audace, de talent, de courage pour parvenir à cette performance unique dans l’histoire de France! Il a pris la France comme Bonaparte le pont d’Arcole! En tête de ses troupes, drapeau en mains, sous la mitraille ennemie. Et dieu sais que les balles pleuvaient de toutes part….
Un vent frais a soufflé dimanche soir sur la tête des français où qu’ils soient. « Quelque chose a changé dans l’air », comme l’avait dit la chanteuse Barbara en 1981 après l’élection de François Mitterrand. L’espoir soulevé est à la mesure de l’exploit. La responsabilité du jeune Président ne l’est pas moins. Il a réussi à contenir l’extrême droite arrivée à son niveau historique; Il a monté haut les couleurs des valeurs républicaines universalistes de la France; il a réaffirmé puissamment l’ancrage de la France en Europe – c’était l’une de ses audaces que de se présenter comme le candidat le plus européen. Nombreux, à droite, à gauche, au centre, se sont dit prêts à se retrousser les manches pour contribuer à la réussite de ce Président. C’est ainsi que l’on a vu des personnalités politiques qui habituellement s’affrontaient sur les plateaux de télévision les soirs d’élection, parler d’une même voix. Oui, quelque chose a changé dimanche dans ce vieux pays de France. Quelque chose qui ressemble à une révolution douce et pourraient aboutir à ce que les cartes du paysage politique français soient totalement rebattues.
Mais le Président Macron, qui entrera en fonction dimanche prochain, s’il a réalisé un exploit en se faisant élire, devra en réaliser un autre, dans un mois, s’il veut pouvoir déclencher son big bang tant attendu. Car, comme tout Président, il devra gagner les élections législatives qui suivent pour gouverner. Faute de quoi l’espoir du « chamboule-tout » n’aura été qu’un feu de paille. Les chausses-trappes sont déjà sur son chemin : ce dimanche, quatre millions français (1/3 des électeurs) ont rejeté cette élection à travers des votes blancs et nuls. C’est énorme et jamais vu dans une présidentielle. Le Président devra tenir compte de ces électeurs dans une démarche inclusive. Ensuite, lors des élections législatives de juin, le Front National de Marine Le Pen pourrait être en mesure de créer un groupe parlementaire. la droite républicaine, qui estime que ce n’est pas elle mais Fillon qui a perdu la présidentielle à cause de son entêtement à maintenir sa candidature malgré les affaires, fourbit ses armes et cherchera une majorité absolue pour gouverner. Bizarrement, dimanche soir, un premier sondage montrait que 61% des français interrogés ne souhaitaient pas qu’Emmanuel Macron obtienne une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Auraient-ils en leur for intérieur déjà fait le choix de la cohabitation entre ce Président progressiste et une majorité conservatrice? Et puis il y a la gauche. Le Parti socialiste, rassemblé sur son coeur de doctrine bien ancré à gauche, vendra cher sa peau. Quant aux mélanchonistes, ils se voient en première force d’opposition à gauche, autant dire que les compromis avec eux ne seront pas légion. On le voit les oppositions seront multiples et de tous horizons politiques.
Sur qui pourra compter Macron pour gouverner? Le groupe parlementaire estampillé « Majorité présidentielle », issu de son mouvement « En Marche », devra être le plus important possible. Il sera composé, à l’en croire, essentiellement de visages nouveaux issus de la société civile. À celui-ci viendront s’agréger des personnalités issue des deux bords, des socialistes réformistes compatibles (essentiellement les troupes de l’ancien Premier Ministre Manuel Valls), des centristes et des Républicains. Cela fera -t-il une majorité? C’est bien l’autre défi lancé dès son élection au nouveau Président. Mais avec plus de 65% des voix, il a lancé une dynamique qu’il sera difficile d’arrêter pour ses adversaires. S’il réussit encore, c’est à dire s’il rassemble une majorité parlementaire pour soutenir son action, il ne « restera plus » à Emmanuel Macron qu’à faire ce pour quoi il a été élu : continuer à surprendre et transformer la France qui ne demande que cela. « Ce jeune homme a signé un pacte avec la Providence », a dit de lui Alain Minc, fin observateur de monde politique. Emmanuel Macron a réussit des premiers pas de Président. Le pacte avec la Providence a vu une première clause s’appliquer. On attend les autres. Avec impatience.
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication