Analyses Archives

Coup de jeune sur un vieux pays / Philippe Di Nacera 

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 23/04/2017 à 11:22 , ,

Il a 39 ans. Il y a à peine deux ans, personne, sauf quelques initiés, ne le connaissait. Emmanuel Macron, en tête du premier tour de l’élection présidentielle française, est en passe gagner le pari fou qu’il a lancé aux français et à toute la classe politique en avril 2016, lorsqu’il a créé, parti de rien, le mouvement « En marche! », pour porter sa candidature à l’élection présidentielle. Il le fait avec la manière puisque les français, contrairement à ce qui était annoncé, ont voté en masse.

 Le Big bang En marche!

Quoi qu’il se passe dans quinze jours, lors du second tour de la présidentielle, une page de la vie politique française s’est tournée hier soir.

C’est l’enseignement le plus important, le plus structurant pour l’avenir, les deux partis de gouvernement, qui gèrent alternativement la France depuis des décennies, ont été tous deux éliminés au soir de ce premier tour. Un tournant. Ce « vieux pays de ce vieux continent » (Villepin) s’offre à l’aventure d’un renouvellement profond. Car l’un ou l’autre des candidats encore en lice, une « anti-système » et un « hors-système »,  offrent des perpectives radicalement différentes de ce que les français ont connus sous la 5ème République. Marine Le Pen, propose une aventure néfaste faite de repli du soi, de nationalisme un peu rance, de sortie inquiétante de l’Europe et de l’Euro. Emmanuel Macron, une aventure encore floue qui mise sur le renouvellement et la recomposition totale du paysage politique.

Ce rêve de recomposition -la formule « Big bang » est de Michel Rocard dans les années 90-, qui a été porté depuis 1965 par des générations de leaders politiques centristes (de Lecanuet à Bayrou), centre-droit (Giscard d’Estaing, Barre), centre-gauche (Rocard), c’est Emmanuel Macron, sorti on ne sait d’où, qui est en passe de le réaliser.

Il faut lui reconnaître la fulgurance d’une intuition et sa capacité à penser en dehors des schémas établis. C’est sa force. Car il ne faut pas se tromper. La réussite de Macron ne doit rien, ou un si peu, à la communication, même si rien sur son chemin n’a été laissé au hasard. Sa réussite est le fruit d’une aspiration profonde du pays qu’il a su entendre, capter, capitaliser : une volonté de changement de génération, de discours et de méthode, le rajeunissement du personnel politique, le dépassement des clivages anciens qui ont structuré la vie publique pendant 60 ans. Les français aspirent à une nouvelle ère. Macron l’a compris. Il a senti que c’était le moment. Il a saisi sa chance. il en récolte les fruits.

Marcel Gauchet, le plus grand intellectuel français vivant, directeur de la revue « Le débat », l’a récemment exprimé dans une interview : « Macron se dit ni de droite ni de gauche, il estime que son adversaire n’a pas nécessairement tort sur tout. Il est en phase avec la sensibilité démocratique d’aujourd’hui (…) Il a eu le flair de saisir que les sectarismes enkystés de gauche et de droite ne faisaient plus recette et qu’il s’agissait de dépasser ce clivage sans le nier ».

Emmanuel Macron, dans un discours quasi-présidentiel prononcé au soir du premier tour, a été clair  : »En un an nous avons changé le visage politique de la France (…). J’ai entendu depuis des mois le peuple français, ses doutes, ses peurs, ses volontés de chargement (…). Je serai le Président des patriotes face à la menace des nationalistes, le Président qui protège, qui transforme et qui construit. Nous allons ouvrir une nouvelle page de notre vie politique (avec de) nouveaux visages, de nouveaux talents ».  Un OVNI est donc désormais le favori du scrutin. Mais il devra éviter de grands pièges s’il ne veut pas se transformer en comète.

Les dangers du second tour 

La droite appellent à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Le Parti socialiste également. Mélanchon ne s’est pas prononcé.  En toute logique, le cumule du report des voix est favorable à Macron. Les premiers sondages lui prédisent un score confortable autour de 60% au second tour. Mais Marine Le Pen, qui a dépassé hier soir le record historique de suffrages pour le Front National, ne part sans armes pour affronter son adversaire au second tour. Elle a déjà beau jeu de se présenter comme la candidate du peuple contre « le système » coalisé contre elle. Certains hauts responsables de la droite, comme Laurent Wauquier, n’ont pas manqué d’ambiguïté dans leur appel à lui faire barrage au second tour. Et si la plupart des leaders de la droite républicaine ont été, eux, assez claire, beaucoup, dans le peuple de droite, seront tentés par l’abstention ou pire, le vote Le Pen. Quant aux électeurs de gauche, nombreux sont ceux qui estiment que Macron n’est pas des leurs. Ils pourraient se réfugier dans l’abstention pure et simple, comme si cette élection ne les concernait plus. Impression largement accentuée par l’étrange discours de Jean-Luc Mélanchon, ne reconnaissant pas clairement le résultat, renvoyant dos à dos les deux adversaires du second tour sans faire de choix.

Macron, favori, a ses fragilités. La dynamique de cette première victoire, d’une part, le « vote républicain » anti-nationaliste, d’autre part, devront être puissants pour lui faire passer la barre des 50% dans quinze jours.

Le risque des législatives 

Macron élu Président de la République, aura -t-il une majorité pour gouverner? Question cruciale car si les français ne lui donnent pas une majorité lors des élections législatives qui suivront, Le « big bang » espéré n’aura été qu’un feu de paille. Logiquement, le peuple est cohérent. Il a pour habitude d’envoyer au Parlement une majorité au Président nouvellement élu. Mais En Marche! n’est pas tout à fait un parti politique. Beaucoup de ses candidats ne sont pas des militants aguerris. Le mouvement joue le renouvellement et les nouvelles têtes. C’est un pari, un de plus, audacieux. Imprudent serait celui qui affirmerait que cela ne marchera pas. Mais ce n’est pas garanti non plus.

Les leaders de la droite l’ont dit clairement hier soir. Appeler à voter Macron au second tour pour barrer la route de Le Pen est une chose mais ils sont ses adversaires. Dès le lendemain de l’élection, convaincus que le pays penche à droite et que cet échec à l’élection présidentielle est lié à la campagne catastrophique de François Fillon, ils feront tout pour remobiliser leur électorat. Une cohabitation entre un nouveau Président « ni de gauche ni de droite » et une Assemblée Nationale de droite ne peut être exclue. Elle serait une catastrophe pour le l’aspiration au renouvellement des français. Par ailleurs, dans ce paysage en recomposition, l’avenir du parti socialiste paraît bien sombre. Son candidat, avec à peine 6, 3 % des suffrages, subit un lourd échec. Parti fracturé par cinq ans de gouvernance Hollande, il pourrait subir une scission entre les socio-démocrates, qui chercheront à créer un groupe autour de l’ancien Premier Ministre Emmanuel Valls afin de peser dans la future majorité, et les socialistes purs et durs pour qui tous ces gens de la « gauche de gouvernement » sont des traitres à leurs idées. Le PS est plongé dans une crise profonde dont on se sait s’il se relèvera.

L’obligation de réussir, sinon…. 

Les embûches passées, plassons-nous enfin dans l’hypothèse où un jeune Président nouvellement élu obtient carte blanche du peuple français aux législatives pour renouveler profondément la cartographie politique du pays et sa gouvernance. Il devra donc gouverner. Et réussir. Cette réussite, il n’aura d’autre choix que d’en faire l’ardente obligation de son quinquennat. Faute de quoi, celle qui n’est encore une fois qu’aux portes du pouvoir pourraient alors les franchir allègrement dans cinq ans.

Philippe Di Nacera 

Directeur de la publication 

7info.ci_logo

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter 7info

L’INFO, VU DE CÔTE D’IVOIRE