Analyses

Edito / Grève des enseignants, osons le débat !/ Adam’s Régis SOUAGA

Mis à jour le 18 mars 2019
Publié le 18/03/2019 à 11:44

La grève perdure et se durcit avec des positions tranchées de part et d’autre. Une grève d’enseignants sur une telle durée, du jamais vu en Côte d’Ivoire. En face, le gouvernement réagit par le blocage du nerf de la guerre : les soldes. Que se passe-t-il au juste ? Les parents d’élèves ont juste appris que les enseignants entrent en grève pour exiger la revalorisation de leur prime au logement. Une prime n’est pas un salaire mais un appui financier à titre de contribution de l’Etat aux loyers des enseignants. Le temps a passé et le montant de cette allocation, 40 000 francs par mois, est estimée aujourd’hui insuffisante au regard du coût de la vie. Peut-être. D’autres catégories de salariés doivent néanmoins se débrouiller avec leurs salaires seuls pour se loger.

Un enseignant avec qui j’échangeais fait savoir que « les instituteurs fuient les villages pour les villes par manque de commodités. » Ne le savait-il pas avant de rentrer dans ce corps de métier ? Ces « soldats » de la dispense du savoir, il faut le reconnaître souffrent, travaillent dans des conditions difficiles. C’est pourquoi le président Félix Houphouët-Boigny les a, dit-on, décrochés. Il fallait bien les inciter à aimer le métier avec tous les avantages liés. Passée la période du raccrochage qui n’en a pas moins permis d’engager des jeunes étudiants dans l’enseignement, les actions des gouvernements successifs ont repris. Jusqu’à cette grève qui révèle que c’est insuffisant. L’action de l’Etat suffira -t-elle un jour aux travailleurs ou fonctionnaires ? Non. Le summum de la satisfaction existe-t-elle ?

Des enseignants, pas nouveau modèle, ont aimé ce corps de métier. Ce sont eux qui ont formé les amateurs de la grève. Avec eux, les jeunes écoliers et élèves ivoiriens partaient à l’école le mercredi, sauf jeudi, et le samedi matin avec le plaisir du port de la tenue bleu-blanc, cravate noir. Quel plaisir éprouvions-nous à la descente des cours!

Quand survint la crise militaro-politique du 19 septembre 2002, c’est un enseignant d’histoire-géographie qui alla discrètement travailler dans son coin, à Bouaké, avec des émissaires de l’Unicef, au redémarrage de l’école dans ce qui était convenu d’appeler les « zones CNO ». La volonté d’éviter ce que Guillaume Soro appelait « le génocide intellectuel » de milliers d’enfants qui n’avaient pas choisi de demeurer dans ces régions en « guerre » a vu déferler, des centaines de jeunes étudiants, élèves qui n’avaient qu’une seule obsession : sauver les enfants et leur avenir. Les parents s’y mettent et dans les établissements primaires, les cotisations permettent de reverser une prime de 30.000 FCFA aux enseignants bénévoles et 50.000 FCFA au moins à ceux du secondaire. Les résultats suivirent, le ministère de l’Education Nationale sous le ministre Michel Amani N’guessan valida les cours et évaluations. Les progressions obéissaient au programme national. Pendant que ces « forgerons et menuisiers, mécaniciens » tels qu’on les présentait au Président Gbagbo dispensaient les cours, pour le bonheur des parents soutenus par le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Unicef, la coopération japonaise pour les ouvrages et cahiers, il s’en trouvaient des enseignants de carrière, restés sans pression dans ces régions, qui refusaient de faire cours. « Allez prendre une autorisation dûment signée par Amani Michel. Nous ne voulons pas voir nos salaires suspendus » laissaient-ils entendre quand on négociait avec eux. Ce sont certains du FPI, contrairement à ce que beaucoup croyaient qui acceptaient de reprendre les cours ! Les autres étaient payés à ne rien faire jusqu’à ce que les résultats des examens de 2003 soient validés avec un très bon taux de réussite, l’école et l’avenir de milliers d’enfants étaient ainsi sauvés. Grâce à cet acte de bravoure, ceux de ces enseignants de circonstance qui voulaient poursuivre une carrière sont aujourd’hui fonctionnaires. Pour le plus grand nombre, ils sont dans des localités et villages où le loyer ne dépasse pas 40.000 FCFA. Les conseils municipaux, régionaux, les mutuelles construisent les logements de fonction avec toutes les commodités. A ce jeu, ils n’ont que le bruit, les bars et le show à envier à leurs collègues de la ville. Alors de quoi s’agit-il ? Jusqu’à un passé récent, les enseignants du quartier Habitat de Diabo payaient le loyer à 5000 FCFA !! Il y a eu augmentation mais pas plus de 40000 FCFA.

A kèrèmangny ( la guerre n’est pas bonne, NDLR), dans la sous-préfecture de Saïoua, l’ensemble du personnel loge à l’école. C’est bien le tableau dans les villages des grévistes eux-mêmes. Alors que se passe-t-il ?

Les cours du mercredi, n’existaient pas. Il a fallu que des enseignants en fassent un jour de « gombo » et la complainte des parents pour qu’on l’inscrive au programme. Et il ne revient pas au travailleur d’imposer son calendrier au patron. Tous ces milliers de jeunes qui courent présenter le concours d’entrée au CAFOP savent bien qu’il existe des cours le mercredi. Celui qui ne veut pas travailler mercredi n’a qu’à chercher un secteur d’activité où le mercredi est jour de repos !

Ni le gouvernement, ni les grévistes ne disent quoi que ce soit aux parents dont les enfants sont pris en otage. Dans la grisaille, il y a une tendance à double vitesse, cours dans des écoles, des enseignants au service tandis que l’absentéisme est visible dans d’autres écoles et des enfants encore à la maison. Les examens à grand tirage approchent et le bras de fer se poursuit. Il faut oser le débat. Il est évident que le gouvernement sait légitime des préoccupations qui vont au-delà du corps enseignant. Cette augmentation de salaire greffée à des revendications techniques pourrait bien trouver solutions si la bonne foi est la chose la mieux partagée. Quand des grévistes balancent des cocktails molotov sur leurs collègues non-grévistes, comme au COB de Bouaké, il se pose la juste question de la légitimité de la cause. La grève le disait un syndicaliste non-gréviste, n’est pas forcée. Plus de un mois après le déclenchement de cette grève, il faudrait que les grévistes fassent le point. Il n’y a pas à rechercher un vainqueur dans cette opposition sans merci. Le seul vainqueur ne sera que la Côte d’Ivoire et ses enfants qui ne demandent qu’à bénéficier de leur droit à l’éducation. A moins que derrière cette grève, il n’y ait des agendas non communiqués à tous les grévistes et à la communauté nationale. Si tel n’est pas le cas, il faudrait courageusement revenir à la table de négociation et éviter ces audiences isolées par syndicat, y aller en groupe et boucler la leçon une bonne fois pour toutes ! Il y va de l’intérêt supérieur de la Nation et de ses enfants. A côté, l’on ne peut prôner l’houphouétisme et fuir le Dialogue, l’Arme des forts. Au demeurant, par le dialogue, le gouvernement se donnerait une bonne raison. Il l’a déjà tenté. Qu’il réessaye. Même ceux qui se sont affrontés avec des armes lourdes ont à un moment déposé ces armes et accepter de vider le différend par le dialogue, alors il est temps d’oser le débat.

Par Adam’s Régis SOUAGA

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