Analyses Politique

3ème mandat, arme de dissuasion massive à l’intention de ceux qui y croient / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 04/06/2018 à 11:31 , , , ,
La toile et la presse se sont enflammées cette fin de semaine suite à une interview donnée par le Président de la République dans laquelle il a déclaré ce truisme : « La nouvelle constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020. Je ne prendrai ma décision définitive qu’à ce moment là, en fonction de la situation de la Côte d’Ivoire ».
 
C’est d’abord une vérité juridique d’évidence. C’est ensuite une vérité politique d’évidence.
 
Sur le plan juridique, la formule est incontestable. Les ivoiriens ont voté en 2016 pour une nouvelle Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Monsieur Ouattara ayant été élu pour deux mandats successifs sous l’égide de l’ancienne Constitution, et la nouvelle ayant été promulguée sous son second mandat, la mise en œuvre de ce nouveau texte l’autorise à se représenter. D’autant que la limite d’âge y a été supprimée.
 
Sur le plan politique, le Président Ouattara a toujours dit en de nombreuses circonstances qu’il ne souhaitait pas faire plus de deux mandats à la tête de la Côte d’Ivoire. Certes, les circonstances politiques peuvent toujours changer et amener une personnalité avisée à changer également de position. Cela s’est vu partout. Mais,  en l’espèce, cette déclaration vise plutôt à tenir en respect ses amis politiques, ses alliées politiques, ses opposants politiques et même la population. Voici pourquoi.
 
Rappelons d’abord qu’Alassane Ouattara ne faisait que répondre à la question « pourriez-vous vous représenter? », pour rappeler simplement ce que lui permet la Constitution. Sa réponse est factuelle. Mais à la précédente question sur ce que devrait être à son avis le meilleur profil pour 2020, le Président ivoirien avait répondu : « celui qui réussira à faire consensus, qui aura le plus de compétences et d’expérience. Le Président Bedié et moi aurons notre mot à dire mais ce sera un processus démocratique ». Personne n’a remarqué (ou voulu remarquer) cette phrase qui précède celle qui a fait polémique et qui pourtant la relativise fortement.
 
Ensuite, il faut le dire, évoquer la possibilité d’un troisième mandat c’est, pour le Président, brandir son arme atomique. Pourquoi s’en priverait-il alors que les relations se tendent fortement avec son allier Henri Konan Bedié? D’autant que des rumeurs persistantes prêtent à l’ancien Président la volonté d’être lui-même le fameux candidat issu des rangs du PDCI en 2020. Une manière donc de dire « chiche! On refait le match de 2010 ».
 
Rappelons qu’une arme de dissuasion massive n’est utile que si l’on ne s’en sert pas. La dissuasion nucléaire américaine, russe ou française a garanti la paix, pendant la guerre froide, entre les grandes puissances, chacune sachant l’autre capable de la détruire plusieurs fois. C’est ce qu’on a appelé « l’équilibre de la terreur ». Le principe est qu’il ne faut pas que l’équilibre soit rompu car l’un des protagonistes pourrait profiter de l’avantage acquis pour attaquer l’autre. Ce qui, alors que l’arme est atomique, serait dommageable à tous. Chacune des grandes puissances ayant bien eu soin de ne prendre aucun retard sur l’autre, la bombe nucléaire n’a heureusement jamais été utilisée après la guerre.
 
L’image et l’analogie avec ce que nous fait vivre actuellement la politique ivoirienne sont assez parlantes. Si le Président annonçait aujourd’hui et de manière solennelle, son renoncement total et définitif à toute candidature, il prendrait un risque politique majeur qui se déclinerait sur plusieurs fronts : à l’intérieur de son camp, c’est à dire au RDR, les appétits s’aiguiseraient et probablement les divisions qui s’en suivraient seraient mortelles. Dans la majorité, c’est à dire au PDCI, on serait tenté de pousser son candidat en faisant fi des autres partenaires. L’opposition, qui pour l’instant reste divisée et craint toujours le chef de l’Etat dont elle attend gestes et considération, pourrait se libérer, se rassembler et se montrer conquérante. La population enfin aurait tôt fait de remercier poliment le Président sortant et de passer à autre chose. L’arme de dissuasion massive sert donc bien à se faire respecter.
 
Le Président Ouattara a adopté, en annonçant qu’il se prononcera le plus tard possible sur sa candidature, une posture tactique qui lui permet de gagner du temps pour tenter de régler les problèmes qui minent la majorité (parti unifié, candidature 2020). Avec des mots, quasi identiques, qu’il avait déjà prononcés lors d’une interview accordée, il y a quelques mois, à une chaîne d’information française. La (fausse?) surprise, marquée à Abidjan, est surjouée.
 
La meilleure façon, dès lors, de le convaincre de ne pas se représenter serait que le pays soit calme, que le risque de dégradation sécuritaire soit minimisé et surtout que la majorité trouve en son sein un terrain d’entente. Plus les alliés du PR vitupéreront, menaceront de présenter un candidat coûte que coûte en 2020 et de renverser leurs alliances, plus Ouattara, tel le boxeur poussé dans les cordes, réagira lui-même avec l’énergie du combattant pour sortir son camp de cette délicate position.
 
Philippe Di Nacera
Directeur de la publication
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