Société

Nigérianes et ivoiriennes sur le marché de la prostitution à Man

Mis à jour le 4 juillet 2019
Publié le 03/07/2019 à 7:43 ,

De jour, la rue principale du CHR de Man, faite de pavés et de restes de bitume grouille de monde. Difficile de circuler. A droite, en provenance de la pharmacie du grand marché, se trouve une ruelle qui côtoie un peu devant, le mur d’enceinte du stade Léon Robert. Quand les derniers rayons du soleil achèvent de darder leur lueur sur la ville aux 18 montagnes, cet antre est occupé par une nouvelle vague de vendeuses. Marchandise: le sexe. Les tarifs, de moins de 5000 FCFA à 15000 FCFA ou plus selon la beauté et l’âge ou le service demandé.

Elles ont pour la plupart l’âge compris entre 16 et 25 ans. De sages jeunes filles en journée, elles deviennent des racoleuses derrière le stade, où elles ont élu domicile pour marchander leurs charmes. Le reporter de 7info.ci a passé un moment dans cet univers.

Ils sont peut-être une poignée, ces habitants de Man qui ignorent le ghetto « DS » pour « Derrière le stade« , un code pour habitués.

Debout ou assises en bordure de la ruelle ou déambulant dans des tenues affriolantes, maquerelles et filles de service sont prêtes. Tout homme ici est une proie potentielle, une source de revenu. Pas question de rentrer sans argent, la raison principale de ce commerce à risques.

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Il est 21 h 25 mn ce samedi 29 juin. La peur cause des picotements au bas-ventre tout comme l’effet des tenues de ces belles de nuit. La ruelle est mal famée et un lieu d’agressions. Un groupe de quatre jeunes filles est en attente d’une proie. Le guide rassure: <<N’ayez pas peur. Soyez tranquille et jouez le jeu afin d’avoir tous les renseignements que vous voulez>> recommande-t-il.

Cigarette entre les doigts, vêtue d’une petite robe, l’une des quatre filles est à l’abordage. <<Grand, vous voulez vous « enjailler » ? Je suis prête pour vous. Vous êtes deux. Je finis avec un et je viens chercher l’autre. Ou bien je vais appeler ma sœur pour qu’un de vous la prenne>>, attaque-t-elle sa cible dans un langage approximatif.

<<Tu es trop petite. On ne peut pas gérer avec toi. Mais si tu veux, accompagne nous dans votre maquis on va prendre un pot>>, lui propose le guide.

<< Je suis là pour chercher mon argent. Je n’ai pas besoin de m’asseoir pour boire>>, rétorque-t-elle. Une diplomatie s’engage avec elle et la proposition est acceptée. Dans ce bar de fortune, la musique se résume à un bruitage indéfini. Les occupants déjà en place s’en accommodent bien et ont des têtes de fumeurs. La fumée de cigarette envahit le petit cadre irrespirable pour non-fumeur. L’hygiène, juste pour le CHR non loin de là.

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Quelques bouteilles de bière parviennent à briser le mur de méfiance, elle n’a pas plus de 15 ans. Les raisons de sa présence en ce lieu ont juste pour réponse furtive, <<Laisse ça grand-frère>>.

La confession arrive après un peu d’insistance, pour montrer un intérêt à sa personne. <<Je suis de l’un des départements de la région. Mes parents n’ont rien. J’ai des camarades qui souvent sortent du village. Elles vont pour revenir au plus après 6 mois. A leur retour, c’est la fête dans leur famille respective. Nous autres, nos parents nous insultaient et nous traitaient de paresseuses et d’incapables. Leur séjour au village, c’est comme des fonctionnaires qui étaient en vacances>>, relate-t-elle.

En fait, ces jeunes filles vont se prostituer loin du département de Man, dans le Nord, à Korhogo où elles étaient très nombreuses durant la période de la rébellion ou à Ferké et Pogo, à la frontière avec le Mali. Après la crise, c’est à Tongon village, dans la sous-préfecture de M’bengué qu’elles ont découvert les nouveaux filons. La mine d’or de Randgold Resources est dans le périmètre et après des journées de labeur, les travailleurs cherchent du réconfort dans les bras de ces jeunes filles. Elles rivalisent avec des non ivoiriennes, nigérianes pour la majorité.

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L’envie de faire comme l’autre, la situation sociale de la famille et les railleries du voisinage dans les villages sont autant d’éléments qui poussent ces filles à se lancer dans la prostitution.

Son récit est émouvant et ses larmes inondent son visage. Une fille fait son entrée dans le bar.

Forme athlétique, des rondeurs qui brûleraient la politesse à un eunuque et un teint clair obtenu avec des produits de dépigmentation. Les têtes se tournent toutes et un silence s’impose au passage de la silhouette. Renseignement pris, elle est nigériane. Le guide l’appelle et sans hésiter, elle rejoint notre table.

Juste quelques verres et elle demande à partir, occasion à ne pas rater. Mais, elle refuse d’être raccompagnée. Raison invoquée: la mère maquerelle est de réaction imprévisible. On n’en saura pas plus.

« Je suis venue du Nigéria avec une femme. Je suis étudiante. » 

 « Mais orpheline de père et de mère. J’étais à bout quand une camarade m’a conseillée de venir en Côte d’Ivoire où une de ses amies à du travail pour moi. Sans trop réfléchir, je prends la résolution de venir en Côte d’Ivoire pour avoir de l’argent afin de continuer et terminer mes études pour aider mes frères et sœurs>>, nous fait-elle savoir.

Une fois en Côte d’Ivoire, elle va découvrir ce qui l’attendait. << Arrivée à Abidjan, elle nous a envoyées ici à Man. Nous étions une dizaine. Elle nous a partagées dans des villes où il y a beaucoup d’activités agricoles, d’orpaillage clandestin. Nous étions déboussolées. Mais, nous étions devant la réalité des faits. A qui nous adresser pour avoir réparation. Nous sommes obligées de subir et faire selon leur volonté>, dénonce Maria G, une jeune fille d’origine Nigériane.

Mais, toutes les filles ne sont pas dans cette impasse, sous contrainte. Certaines s’adonnent à cœur joie à la luxure.

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<<Ici, il y a toute sorte d’hommes qui vient. Des drogués, des alcooliques, des hommes bien et tout. Certaines de nos amies sont poignardées et tuées ici. Nous savons bien que cet endroit est salle et peut nous donner toutes sortes de maladies>> reconnait-elle.

Le guide nous emmène auprès d’une retraitée des matelas après une vingtaine d’années passée dans ce métier.

Elle a abandonné sa tenue aguichante de prostituée pour le commerce de la friperie au grand marché de la ville.

Son épopée sexuelle débute « Dans les années 90 avec des amies. » « Nous avons commencé à faire ce travail. Nous avons parcouru toute la sous-région. Nous avons pratiquement fait toutes les villes de ce pays en quête d’argent. Nous étions 6 dans notre groupe. Quatre sont décédées. J’ai vu qu’il ne servait à rien de continuer et de se retrouver six pieds sous terre. Depuis trois ans j’ai raccroché et ce que j’avais, je l’ai investi dans le commerce de friperie qui me réussit bien.  Il y a une semaine, une de mes amies est décédée d’une maladie contractée pendant ces moments de folie>>, explique-t-elle. Des filles révèlent les coups bas entre elles. Un détour chez des charlatans pour lancer des sorts aux autres ou attirer le plus de mâles en quête de sensation forte sont les requêtes auprès de ces faiseurs de bonheur qui n’hésitent pour certains, à profiter de la proie.

Avec un taux de paupérisation élevé dans cette région de l’Ouest, surtout dans les milieux ruraux, la prostitution a encore de beaux jours devant elle. Une nouvelle forme, plus sophistiquée se pratique maintenant dans les hôtels, avec l’aide des gérants.

Jean Olivier DAN, Correspondant Régional

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