Société

Sipilou, la paix scellée entre population et autorités après le meurtre d’un moto taxi

Mis à jour le 20 mai 2019
Publié le 17/05/2019 à 2:57 , , ,

Ce  mercredi 15 mai 2019, il est un peu plus de 10 heures quand nous arrivons à Sipilou où la ville s’est réveillée avec des mouvements d’humeur suite aux événements du mardi 14 mai. Une bavure policière qui a coûté la vie à un jeune conducteur de moto taxi avait suscité un soulèvement populaire contre les forces de l’ordre dans cette ville située à la frontière ouest de la Côte d’Ivoire avec la Guinée.

Une fois dans la localité, nous faisons un détour à la préfecture qui se trouve à l’entrée du centre-ville pour des civilités au premier responsable administratif du département. Au secrétariat, nous apprenons que le préfet du département de Sipilou est absent. Le secrétaire général est quand à lui occupé dans des rencontres d’apaisement. Le chef de cabinet du préfet, nous reçoit dans une ambiance bon enfant, tout en nous rassurant qu’un calme précaire règne. Ce  qui peut nous permettre de faire notre reportage.

Réconfortés par ces paroles de l’autorité, nous prenons la direction du centre-ville. Mais, en sortant, nous constatons la présence de nombreux chefs de communautés dans la salle des réunions. Renseignements pris, ils seraient convoqués par Kra Sialou, SG de préfecture, en vue de trouver une issue heureuse à cette crise. 

C’est le premier adjoint au maire, Koné Soagbeu, rencontré un peu plus loin qui accepte de relater la folle journée du mardi 14 mai.  » Hier (Ndlr, mardi), j’étais chez moi lorsqu‘on m’a appelé pour me dire qu’il y a une situation scandaleuse à Sipilou. Je me suis rendu sur les lieux. J’ai trouvé que le poste de police était déjà en feu. Je suis resté sur place, une deuxième vague est venue. Le bureau du lieutenant Fofana qui n’était pas encore touchée a été défoncé par des jeunes qui y ont mis le feu. J’étais scandalisé et je ne savais pas à quel saint me vouer », nous confie l’adjoint au maire. Il  rappelle que tout est parti d’un policier qui a tué un jeune conducteur de taxi moto entre le poste de police et le village Guinéen du nom  de Bita.

Toujours la tension dans la ville

Notre entretien s’est aussitôt interrompu à la vue d’une fumée noire montée dans le ciel depuis le centre-ville. « Vous voyez la fumée qui monte-là, ce sont les jeunes qui font ça », révèle tout déçu Koné Soagbeu de qui nous prenons congé pour nous y rendre.

Sur les lieux, nous tombons sur un barrage érigé, avec des pneus enflammés. Des jeunes aux visages graves sont en de petits groupes. Ce que nous constatons est tout simplement ahurissant. Tous les commerces sont hermétiquement fermés. Certains journalistes sont pris à partie par une horde de jeunes en furie. Pas question de prendre d’images, intiment-ils l’ordre. Le chef de canton informé de la situation vécue par les hommes de média, vient plus tard nous secourir et nous conduire à la préfecture où se tenait une réunion de crise sur ces événements. À cette rencontre capitale, tous étaient présents. Notamment les chefs coutumiers, les guides religieux, les chefs de communauté, les responsables des forces de défense et de sécurité, auxquels le premier responsable de la police au niveau de la région, le commissaire divisionnaire Ouattara Dongui s’est joint.

Le secrétaire général,  représentant le préfet du département de Sipilou en revenant sur les faits. Il a fait savoir qu’il y a eu un incident déplorable où un agent de la police des frontières, le sergent Koné Lanciné, a interpelé un conducteur de moto taxi après le corridor frontalier de Sipilou 2 appelé communément corridor Dirita. Après avoir  demandé les pièces de la moto dont ne disposait pas le motard, il a exigé la somme de 1000 francs. Ce que le motard refuse arguant qu’il s’est déjà acquitté de  cette somme au corridor.  Et que s’il le voulait, le policier pouvait aller vérifier avec lui auprès de ses frères d’arme. Le policier reste sur sa position. Traoré Alpha dit Jagger, c’est le nom du conducteur de moto taxi,   pour montrer sa bonne foi, ajoute le représentant du préfet, a même décidé de mettre son téléphone portable en hypothèque . Une fois de retour de la Guinée, il allait lui remettre le montant exigé avant de récupérer son téléphone parce qu’il n’avait pas un sou sur lui. Le policier reste sourd à cette proposition. 

Ce qui a mis le feu aux poudres

Le président des jeunes de Sipilou , l’un des premiers à arriver sur les lieux de l’incident, ne dit pas le contraire. A l’en croire, le jeune homme qui transportait une femme fait demi-tour. Et c’est alors que le policier ouvre le feu sur la roue arrière. Traoré Alpha tente de poursuivre son chemin vers le corridor c’est là que le policier tire sur lui une fois de plus dans le dos. La femme qui était sur l’engin prise de peur, prend la fuite pour aller appeler des secours. Des jeunes arrivent et transportent le blessé au centre de santé urbain de Sipilou pour les premiers soins. Sentant les représailles, le secrétaire général de la préfecture  sur ordre du préfet fait déployer des éléments des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI) en faction dans la ville en vue protéger le bâtiment livré il y a un mois et demi à la police des frontières. 

Mais, très vite, ils sont débordés par la foule. Les éléments des FACI arrivent à mettre les policiers en sécurité pour échapper à la furie des jeunes qui voulaient en découdre avec eux. Révoltés, les jeunes jettent leur dévolu sur le bâtiment qu’ils pillent et incendient. Le groupe électrogène qui alimente le bâtiment n’est pas épargné. Pendant ce temps, la situation de Traoré Apha empire. Il est  recommandé de le conduire au CHR de Man. C’est pendant l’évacuation qu’il va rendre l’âme.

Le secrétaire général de préfecture a condamné les faits qui selon lui ne resteront pas impunis. Pour lui le bilan  d’un mort avec de nombreux dégâts matériels est lourd. Surtout avec la destruction des postes frontaliers. « Le policier a commis une faute grave et il subira la rigueur de la loi. Parce que quand on analyse les faits, il n’y a aucune raison de faire usage de son arme. Du côté des jeunes, il faut dire qu’ils ont mal agit en voulant se rendre justice. Tous les biens qui ont été détruits appartiennent à Sipilou et c’est déplorable », a-t-il regretté. L’administrateur civil, tout en présentant ses condoléances à la famille éplorée, a demandé pardon à la population locale pour ce grave incident, au nom du préfet du département et au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire.

Tour à tour après le secrétaire général de préfecture, les différentes composantes de la communauté notamment les chefs coutumiers, les guides religieux et les jeunes ont pris la parole. Unanimement, tous les intervenants se sont dits peinés et dépassés par cette énième situation malheureuse que vit  le département de Sipilou. Il y a environ 10 ans en arrière, un agent de la police forestière a tiré à bout portant sur un paysan à Gaba, un village de la-sous-prefecture de Sipilou, le tuant sur le champ. Pour eux, ce qui s’est passé est inacceptable et il faut trouver une solution définitive.

La grosse colère de la jeunesse

La jeunesse par la voix de son président Diomandé Kefa Louty, a exprimé son amertume avant de demander la suppression du barrage routier de Sema qui selon elle est de trop. Elle a également demandé la suppression des barrages dressés dans tous les villages qui ne sont pas à la frontière et le déplacement du corridor de Koulalé situé en plein centre du village à Kpeaba qui est le denier village ivoirien à 13 kilomètres de la Guinée. Un préalable avant d’accepter tout pardon de l’autorité. Le secrétaire général de préfecture, le chef de Canton Diomandé Aubin et des guides religieux, qui tiennent au retour définitif de la paix finissent par faire entendre raison aux jeunes qui finalement lèvent leurs préalables et acceptent le pardon. Cependant, la suppression du barrage de Sema reste pour eux une exigence non négociable avant l’arrivée du corps de Alpha à Sipilou. 

Le racket des hommes en tenue dénoncé

Tous les intervenants , ont tous dénoncé les abus et le racket à outrance des agents nouvellement déployés de la police des frontières à Sipilou. Ils ont supplié, la hiérarchie policière de leur donner des conseils, afin que ces derniers revoient leurs comportements. Car dénoncent-ils, ces agents n’ont aucun respect pour la population et même les chefs coutumiers, qui subissent de graves humiliations de leur part.

Le préfet de police de Man, le commissaire divisionnaire Ouattara Dongui Brahima a à son tour demandé pardon à la population pour tout ce qu’elle a subi. « Je voudrais sincèrement demander pardon à la population. Parce que les jeunes gens qui ont été déployés ici sont sous ma coupole. Ils viennent certes d’Abidjan mais je suis leur responsable. Tu peux mettre un enfant au monde mais tu ne peux pas contrôler tout son comportement. C’est pourquoi, à la suite du préfet  je vous demande de nous pardonner, et surtout d’accepter nos excuses », a plaidé le patron de la  police dans le district des montagnes.

Tous les intervenants malgré leur colère, ont reconnu  la nécessité de préserver la cohésion sociale et la paix à Sipilou. Raison pour laquelle,  après avoir crié son indignation, la présidente des femmes du département de Sipilou a exhorté les jeunes à s’éloigner de la violence et permettre que leur frère soit enterré dignement et surtout à favoriser la reprise des activités des forces de l’ordre. Qui quoi qu’on dise jouent un rôle très important dans la société. Une requête à laquelle, les jeunes se sont montrés favorables, promettant de tout mettre en œuvre pour que Sipilou renoue avec la quiétude. Au moment où nous quittons le ville, le calme s’était installé et quelques boutiques s’ouvraient pour la grande joie de la population.

Olivier Dan, correspond Ouest

source : rédaction Poleafrique.info

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