Entretien

Dr Sylvain N’Guessan (politologue) « la CEDEAO n’a pas été créée pour faire la guerre »

Mis à jour le 10 août 2023
Publié le 10/08/2023 à 9:57 , , ,

L’intervention militaire annoncée au Niger est-elle réalisable et pour quel résultat ? Comment devrait fonctionner la CEDEAO contre ce genre de crises ? Dr Sylvain N’Guessan, un analyste politique à l’Institut de stratégies d’Abidjan, donne des éléments de réponse dans cet entretien. 

 

 

Depuis le 26 juillet 2023, une junte a pris le pouvoir au Niger. Pour rétablir l’ordre constitutionnel, la CEDEAO annonce une opération militaire pour réinstaller le président Mohamed Bazoum. Ce projet est-il réalisable et à quel prix selon-vous Dr Sylvain N’Guessan ?

D’abord le coup d’Etat est à condamner. C’est une violation de la constitution du Niger. C’est également une violation du droit international. En aucun cas on ne peut justifier un coup d’État. Ceci dit, l’opération militaire dans une ville comme Niamey me parait assez complexe. Comment séparer les cibles civiles des cibles militaires. Dire qu’on va réinstaller le président Bazoum, c’est une excellente chose. Mais comment parvenir à neutraliser ceux qui l’ont pris en otage tout en gardant le président Bazoum vivant. Ça paraît élémentaire mais je pense qu’il va falloir trouver des éléments de réponse parce que ça ne sert à rien d’éliminer ceux qui l’ont pris en otage sans éliminer le président Bazoum lui-même. Finalement, on se retrouve dans quel type de schéma. Il y aura encore les effets collatéraux. Je veux parler des conséquences du point de vue humanitaire. Déjà le Niger a l’un des indicateurs de développement humain (IDH) les plus faibles du monde. Aller encore détruire Niamey parce qu’on ne peut pas faire une guerre sans détruire les infrastructures, l’aéroport les ponts la ville de Niamey… Dans quelle situation se retrouvera Niamey. Il faut privilégier la diplomatie.

Ce jeudi 10 août 2023, après d’autres rendez-vous dont ceux des chefs d’État et des chefs d’état-major, la CEDEAO se réunit à nouveau pour statuer sur le cas du Niger. A quoi faut-il s’attendre ?

Déjà que le Sénat du Nigéria a freiné le président nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO. Si le Nigeria devait se retirer de cette opération avec tout ce qui se passe au niveau du Niger et la crise économique au Ghana, la Côte d’Ivoire, peut-elle porter toute seule ce fardeau. Quel intérêt a la Côte d’Ivoire de se mêler d’une telle guerre ? On a vécu une guerre de 10 ans, on connaît les conséquences. Je pense qu’il faut toujours privilégier les négociations. Examinons cet embargo sur le Niger. On a vu des exemples en Irak, il y a eu des milliers d’enfants morts. L’élite n’est jamais atteinte parce qu’elle a les moyens de survivre. L’élite a eu le temps de mettre de l’argent de côté. Et les jeunes qui sont dans les rues, qui n’ont pas d’épargne, qui vivent au jour le jour, qui vivent dans de petits commerces qui se retrouvent sans électricité, avec les frontières fermées. Il faut trouver d’autres solutions.

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Docteur Sylvain N’Guessan, sur le terrain nous venons d’apprendre qu’un ancien ministre et ex-chef rebelle vient d’entrer en rébellion contre la junte au pouvoir. L’action de cet ancien ministre pourrait-elle être un allié pour la CEDEAO et les forces qui annoncent la réinstallation du président Bazoum ?

Quels sont les moyens dont dispose cette cellule mise en place pour réinstaller le président Bazoum. C’est bon pour la communication. On le voit, ceux qui l’ont arrêté, laisser le président Bazoum téléphoner et écrire des notes à divers journaux en Occident. Je pense que le laisser en vie, est déjà une chose excellente. Maintenant, s’il y a d’autres moyens de faire l’opération militaire pour atteindre le président Bazoum, c’est une bonne chose. Mais j’en doute fort. A mon avis, il faut éviter une victoire par la force.  Il faut négocier, et négocier.

Le président Gbagbo a fait une sortie sur la crise nigérienne. Il appelle à un débat national avant d’envoyer une quelconque force au Niger. Que pensez-vous de sa proposition ?

Quand on n’a pas pu empêcher un coup d’Etat et que cela arrive, c’est malheureux. Mais la solution qui prévaut, on la connaît tous. C’est une transition militaire suivie d’une élection. Mais quelle solution l’on trouve contre ça ? Une guerre dans un pays comme le Niger ? La CEDEAO n’a pas été créée pour faire la guerre. Même si aujourd’hui, il y a une résolution, on finit de bombarder le Niger comment on va se regarder dans la CEDEAO ? Il faut trouver tout autre moyen que la guerre.

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La CEDEAO est beaucoup critiquée pour ses méthodes quand il y a des coups d’État. L’organisation devrait-elle revoir son fonctionnement dans ce genre de crise ?

Oui, à mon avis. La CEDEAO ne se donne pas assez de moyens pour anticiper certaines crises. A mon avis, si on copie les bons exemples de l’Europe, une cellule de veille qui essaie d’évaluer les différents pays en fonction de leurs rapports avec les partis d’opposition, rapports de l’exécutif avec la société civile dans la gestion des deniers publics et anticiper avec des rapports chaque six mois pour sanctionner les Etats qui continuent de museler les leaders de la société civile, qui continuent de mal gérer les ressources économiques, qui font une mauvaise répartition des fruits de la coopération; devraient être sanctionnés et retirés de la CEDEAO. Cela permettra à tous ceux qui sont mécontents vis-à-vis de leur pouvoir exécutif d’avoir une sorte d’arbitre envers qui se tourner. On ne croisera pas les bras à regarder certains gouvernants museler leur opposition, faire tout ce qu’ils veulent pendant leur gouvernance, attendre un coup d’État et venir sanctionner ceux qui font le coup d’État. Bien sûr, le coup d’État n’est pas la solution. On peut être mécontent sur certains points, être divisés sur des questions. Mais s’il y a une cellule de veille qui sanctionne certains Etats, ce sera un pas en avant. On pourra sanctionner certains Etats parce qu’ils auront mal gérer certaines ressources. Donc on pourra sanctionner certains Etats pas pour motif de rupture constitutionnelle, mais pour mauvaise gestion.

Entretien réalisé par Richard Yasseu

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