Analyses

« VGE » n’est pas que le nom d’un boulevard à Abidjan / Philippe Di Nacera

Mis à jour le 4 mars 2021
Publié le 03/12/2020 à 11:58 , , , , ,

Valéry Giscard d’Estaing est décédé hier dans sa 95ème années, des suites de la Covid 19. En Côte d’Ivoire, ce nom évoque surtout l’une des plus imposantes artères de la capitale économique, Abidjan, qui relie l’aéroport Félix Houphouët Boigny au pont du même nom : 100 mètres de large, huit kilomètres de long.

C’est lors de la visite officielle du Président Français Giscard d’Estaing en Côte d’Ivoire, du 11 au 15 janvier 1978, que le Président Houphouët a décidé de rebaptiser ce grand boulevard du nom de son illustre hôte. Un geste plus politique que personnel mais un geste significatif tout de même qui voulait traduire l’importance de la relation entre les deux pays.

Sur un plan personnel, les relations entre les deux hommes se sont rapidement dégradées dans le courant de l’année 1979, leur approche de la fin du règne de l’empereur Centrafricain Bokassa Ier étant radicalement différente. C’est l’ex-Ministre et très proche collaborateur du Président Houphouët Boigny, Essy Amara, qui témoigne.

À la suite « de massacres » de lycéens qui avaient manifesté à Bangui, le Président Giscard d’Estaing voulut, en mai 1979, lors du VIème sommet franco-africain de Kigali, que les Chefs d’Etats condamnent fermement l’empereur. C’était la grande époque de la « Françafrique ». Félix Houphouët Boigny s’y opposa. Il refusait de condamner « un frère » sans aucune preuve matérielle. Il proposa de créer et de financer une mission d’enquête qui se rendrait à Bangui pour mettre à jour et produire les éléments à charge. Ainsi en décidèrent les pairs de l’empereur. Mais la mission, qui enquêta durant deux mois, n’apporta aucune preuve de l’implication de Bokassa lui-même. Les violences relevaient plutôt de certains éléments incontrôlés de l’armée. Les pays africains ne condamnèrent pas son régime, contrairement au souhait de Giscard. Quelques mois plus tard, le 21 septembre 1979, le leader Centrafricain est renversé par la France. Il voulut s’y réfugier mais VGE refusa de lui autoriser l’accès au territoire français. Bokassa resta coincé dans son avion, trois jours durant, sur le tarmac de l’aéroport de Villacoublay. Cette situation, largement décrite dans les journaux télévisés, choqua profondément Félix Houphouët Boigny qui ne comprenait pas que l’on traite ainsi un ancien Chef d’Etat. Il prit la décision, encore une fois à la surprise de Giscard d’Estaing, de permettre à Jean-Bedel Bokassa de trouver refuge en Côte d’Ivoire, avec sa famille, où il séjourna durant 4 ans, pris en charge par le gouvernement Ivoirien. Ce n’est qu’après le départ de Giscard du pouvoir que Jean-Bedel Bokassa put s’installer en France jusqu’à son décès.

Il faut admettre, au delà de cette anecdote, que l’histoire est jusqu’à présent injuste à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing. Elle ne le reconnaît pas pour ce qu’il a été en réalité, un grand Président Français.

Avant Emmanuel Macron, il était le plus jeune Président de la République française, élu en 1974 à l’âge de 48 ans. Il avait compris et digéré les messages de la révolte sociale de mai 68. La réforme fut donc l’axe majeur de son action politique. Et il fut un grand modernisateur de la société française. Comme le dit dans son message d’hommage le président français « les orientations qu’il avait données à la France guident encore nos pas ». Par sa volonté, la place des femmes fut largement revalorisée : loi sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, divorce par consentement mutuel, capacité juridique et capacité des femmes à ouvrir un compte bancaire ou à signer des transactions immobilières sans l’autorisation de leurs maris, création d’un nouveau département ministériel consacré à la condition féminine, etc. Autant de décisions qui ont changé la vie quotidienne des femmes françaises. Il a décidé également d’abaisser l’âge de la majorité (et donc le droit de vote) à 18 ans et de permettre à l’opposition politique de saisir le Conseil Constitutionnel pour contester une loi votée au parlement. En politique étrangère, il est à l’origine de la création du G7, de l’amitié franco-allemande, de la monnaie unique, l’Euro. On pourrait décliner d’autres actions qui toutes, ont eu un impact réel, durable, sur la France et la vie des français.

Pourtant, on a tendance à oublier la place majeure que l’homme occupe dans l’histoire de son pays. Certes, il a dû gérer deux chocs pétroliers qui ont frappé la France de plein fouet, et c’est sous son mandat que les mots « crise économique » et « chômage de masse » se sont invités pendant longtemps dans le quotidien des français. Son image, de plus, s’était fortement dégradée. S’il a tenté, s’inspirant de Kennedy aux Etats-Unis, de renouveler le rapport du Président au peuple en inventant une communication politique moderne « à la française », il a toujours gardé une sorte de maladresse dans sa manière de s’adresser aux français, voulant dépasser, sans jamais y parvenir, la « barrière de classe » qui le séparait d’eux. Surtout, l’affaire dite « des diamants de Bokassa », sortie après la chute de celui-ci, troubla les français et gâta la fin du mandat de leur Président. Mais ce qui jeta réellement un voile sur le mandat de Giscard et changea la direction des projecteurs, ce fut la victoire de François Mitterrand, le 10 mai 1981. Cette alternance politique historique écrasait tout. La gauche revenait au pouvoir pour la première fois depuis 1936. Elle voulait « changer la vie ». La subtilité n’étant pas le propre des sympathisants (quels qu’ils soient), tout ce qu’il y avait avant, « la droite » sans distinction, était mis dans le même sac.

Le recul du temps nous permet aujourd’hui de le reconnaître, Giscard fut un grand réformateur et un grand modernisateur de la France. C’est lui, et non Mitterrand, qui fit sortir la France du Gaullisme. La gauche et François Mitterrand réalisèrent également, dans une ambiance survoltée, de grandes avancées sociétales et juridiques. Ce sont elles que l’on retient plus que celles de Giscard. Comme souvent, il faut attendre le décès des hommes d’Etat pour apprécier la valeur réelle de leur contribution.

Philippe Di Nacera

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