Société

Les élèves exposés à des risques en milieu rural faute de latrines

Mis à jour le 24 octobre 2021
Publié le 24/10/2021 à 8:00 , ,

En Côte d’Ivoire, les abords des écoles primaires, des maisons, des rues, des marchés et des terrains de sport de certains villages sont jonchés de matières fécales humaines fraîches ou en putréfaction avancée aux odeurs nauséabondes. L’absence criante de latrines en milieu rural oblige les élèves et enfants à déféquer à l’air libre.

Cette situation désagréable est facteurs de risque pour la santé et le bien-être des populations. Une incursion dans l’Indénié-Djuablin pour s’en convaincre.

A trois kilomètres d’Adaou, une bourgade située à proximité d’Abengourou (210 km au nord-est d’Abidjan) dans l’Indénié-Djuablin se dresse un check-point des forces de l’ordre. Il est 9H00. Des usagers de la route échangent à gorge déployée près d’une grande poubelle où des enfants défèquent à ciel ouvert.

En quelques minutes de marche, voilà le village. A l’entrée, des ordures ménagères sur lesquelles sont déposées des matières fécales humaines aux odeurs nauséabondes accueillent les visiteurs. En face, quatre enfants visiblement pressés contournent une église en courant. Le point final de cette course est le dépotoir public. Une fois sur les lieux, ils se débarrassent de leurs vêtements trempés de sueur et s’accroupissent pour déféquer sous un soleil de plomb. Chacun a en main un morceau de papier-journal ou de tissu usé pour les besoins de la cause.

« Depuis notre arrivée ici, nous constatons que des enfants et grandes personnes viennent se soulager à cet endroit qui représente une latrine pour eux. Ils en profitent pour verser les déchets tels les excréments de mouton, de cabris, de lapin, etc. Au marché principal du village, dans les endroits publics, des gens urinent et défèquent. », explique le pasteur du temple, Henri Yapo.

Pour lui, cette poubelle est quotidiennement visitée de jour comme de nuit par les enfants et les grandes personnes. « Les enfants que vous avez vu courir, viennent régulièrement la journée se mettre à l’aise ici quand ils sont dans le besoin contrairement aux grandes personnes qui attendent la nuit pour s’y rendre », fait-il remarquer, occupé à balayer devant son temple.

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La place centrale du village n’est pas épargnée. Elle a son lot d’ordures, c’est pourquoi, la traversée de cet espace public par tout individu, l’oblige à se munir d’un mouchoir ou d’un cache-nez pour éviter les odeurs désagréables que propagent les excréments et toutes sortes de saleté. « Les femmes et les enfants versent chaque jour des ordures, des déchets ici. Or, cet endroit est l’espace public et central du village. Les jeunes, que nous sommes, venons ici tous les jours pour échanger. Malheureusement, les enfants viennent déféquer chaque jour. Et, cela rend cet espace irrespirable, invivable », se plaint le parent d’élève Samuel Kouassi, impuissant. Cette situation d’insalubrité en milieu rural préoccupe les villageois eux-mêmes qui n’en reviennent pas.

C’est le cas de dame Kouamé Adjoua, commerçante et mère de famille, de noir vêtu. Trempée de sueur, elle a la voix cassée à force de crier pour tenter d’empêcher les enfants de déféquer en plein jour sur son terrain.

Pour elle, les adeptes de la défécation en plein air savent les raisons qui militent en faveur de cette pratique tant décriée par les honnêtes citoyens.

« Je défèque sur les dépotoirs, même dans la broussaille qui ceinture le village et quelquefois derrière les maisons et le long des murs quand il fait nuit. Je ne peux pas en faire autrement. Car, nous n’avons pas de latrines modernes dans le village et les écoles », confie un adepte du phénomène, sous le couvert de l’anonymat.

De son côté,  Joseph Anoh, instituteur à l’Ecole primaire publique du village, justifie la défécation en plein air dans le village par l’absence de latrines, qui selon lui, oblige les enfants et parfois de grandes personnes à déféquer dans des endroits non appropriés. « C’est dans la cour de l’école que les élèves urinent, souvent ils partent déféquer dans nos plantations de maniocs, de légumes etc. Ils le font parce qu’il n’y a pas de latrines à l’école » affirme-t-il, déçu.

Assis sur une chaise en bois à l’ombre d’un arbuste à cinq mètres de son cabinet médical, Pierre Ako évoque pour sa part, les risques ou maladies qu’entraîne l’insalubrité due à la défécation à l’air libre et aux ordures des poubelles.

« Ce phénomène est source de conséquences comme les maladies diarrhéiques, les piqûres de serpents, les infections urinaires, la bilharziose », énumère-t-il, habillé dans une blouse blanche.

Les populations Allangwa impuissantes ne savent pas à quel saint se vouer

Adaou n’est pas la seule localité de l’Indénié Djuablin touchée par la défécation à l’air libre. D’autres villages sont concernés par le phénomène, comme ceux de  d’Ehuasso et de M’basso dont les habitants sont appelés les Allangwa, respectivement à 70 et 75 km au nord d’Abengourou.

Dans ces deux villages, la pratique de la défécation à ciel ouvert est aussi une réalité récurrente.

A M’basso, les ruelles, les abords de certains hangars et maisons regorgent des excréments humains autour desquels vrombissent de grosses mouches verdâtres. L’école du village et les champs environnants sont aussi visités par les acteurs de la défécation à l’air libre.

« C’est vraiment dommage de voir dans une école où plusieurs enfants sont inscrits des excréments humains. S’il y avait des latrines ici, nous n’en serions pas là. C’est l’absence de toilette qui entraîne cette pratique moyenâgeuse », dénonce amèrement Marcelin Adjobi, un instituteur du village.

Sans perdre de vue les inconvénients du phénomène, il évoque la disparition d’un élève et le cas d’un autre mordu par un serpent.

« Récemment, un élève nous a quittés à cause de ce phénomène. A la recréation de 10H00, l’élève est allé dans la broussaille, non loin de l’école  pour déféquer. Il a disparu et son corps sans vie a été retrouvé plus tard », révèle-t-il lamentablement avant d’ajouter : « les risques sont énormes. Parfois les élèves sont mordus par des serpents ».

Tout de blanc vêtu, le parent d’élève Moussa Konaté et président de l’Association des musulmans de M’basso dont l’enfant a déjà été mordu par un serpent, ne dit pas le contraire. « Je viens de l’hôpital, mon fils en classe de CM1, vient d’être mordu par un serpent. Faute de latrine, il est allé pour déféquer dans la broussaille à l’entrée du village où se trouve le dépotoir », se plaint-il, furieux.

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A cinq kilomètres de M’basso, se trouve le village d’Ehuasso où la rue centrale de cette cité de 3000 âmes est jonchée d’ordures en ce dimanche pluvieux. Derrière le mur d’une habitation, un enfant est chassé par un villageois pour avoir déféquer sous sa fenêtre. A l’instar d’un athlète en compétition, le petit de sept ans a détalé, laissant la matière fécale sur les lieux.

En attendant d’avoir des latrines modernes dans leurs villages, les populations tentent à leur manière de juguler cette pratique déshonorante et honteuse par des campagnes de sensibilisation auprès de la jeunesse et des opérations coups de balai.

« Nous avons décidé de nettoyer et balayer les coins et recoins de notre cité et sensibiliser nos parents et les enfants à ne pas déféquer dans les rues et les endroits stratégiques. Aujourd’hui, nous avons besoin d’aide de l’Etat, des ONG ou des entreprises publiques comme privées », lance le chef du village de M’basso, nanan Kouakou Issa, le regard triste.

Selon les statistiques issues d’une enquête initiée par le ministère ivoirien du Plan, le taux de défécation à ciel ouvert au niveau national est de 22%. En milieu urbain, il est de 3% et de 39% en milieu rural. Le pourcentage de la population ayant accès à l’assainissement amélioré est de 32%.  En milieu urbain, il est de 39% et de 16% en zone rurale. De plus, sur 8780 écoles primaires publiques, seulement 2930 disposent de latrines fonctionnelles, rappelle-t-on.

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