Santé

En Côte d’Ivoire, le boom des boissons énergisantes

Mis à jour le 11 novembre 2023
Publié le 11/11/2023 à 1:28 , , ,

Cody’s Vody, Cody’s Energy, Kapa Energy Drink, XXL Energy, Doppel Energy Malt, 3X Energy, Double Seven Energy Drink, Treme Energy drink, etc…qu’elles soient de fabrication locale ou importées, alcoolisées ou non, en canettes ou en bouteilles plastiques, plusieurs marques de boissons énergisantes ont envahi les surfaces commerciales en Côte d’Ivoire.

Les férus de ce type de boisson se comptent essentiellement parmi les jeunes. Beaucoup ignorent pourtant que la consommation excessive n’est pas, de l’avis des spécialistes de la santé, sans conséquences sur leur santé.

Difficile de ne pas remarquer, l’affiche publicitaire qui couvre depuis quelques mois la plupart des guichets du pont à péage Henri Konan Bédié d’Abidjan. Sur celle-ci, on reconnait l’ex-footballeur ivoirien Geoffroy Serey Die, léger sourire et tenant en main une bouteille transparente contenant un liquide couleur or.

La Société Moderne de Limonaderie de Côte d’Ivoire (SML-CI) a choisi l’ancien capitaine de la sélection nationale, champion d’Afrique 2015, comme égérie de sa marque Kapa Energy Drink.

Dans un spot publicitaire, à la télévision, c’est un autre athlète ivoirien, le champion des sports de combats muay thaï et K1, Oly La Machine (de son vrai nom Oly Yves Roland), muscles saillants, qui vante les vertus de 100% Energy, une autre marque, et invite à en consommer.

Symbole de l’adoubement de ces boissons par le monde sportif ivoirien, la Fédération ivoirienne de football (FIF) a signé, en juillet dernier, pour quatre ans, un contrat de partenariat avec l’entreprise allemande Cody’s Drinks International, qui porte exclusivement sur la sélection nationale masculine, considérée comme la vitrine du football en Côte d’Ivoire.

Au bord des grandes artères de la capitale économique, sur les façades de certains immeubles, ces marques de boissons s’affichent allègrement dans une campagne publicitaire intensive. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste.

A LIRE AUSSI: Kadhafi, tout sur la nouvelle drogue qui décime la jeunesse

Sur Facebook notamment, il n’est pas rare de voir des pages, dédiées à la promotion de boissons énergisantes avec des accroches publicitaires qui ont en commun la promesse d’un regain d’énergie aux candidats à la consommation.

Aujourd’hui, à Abidjan, c’est devenu la foire à ce type de boisson. De nombreuses commerçantes les proposent aux abords des voies. Généralement, dans des glacières sur lesquelles sont posées des canettes vides, signe indicateur de vente au détail.

Dans les rayons des superettes, des boutiques, sur les étals des caves, dans les bars, elles occupent une place de choix, donnant ainsi un second souffle au marché des limonades, déjà bien fourni, en Côte d’Ivoire.

Sur ce segment, les deux principales brasseries (Solibra, Brassivoire) se livrent également un duel.

Jusqu’alors maître incontesté du secteur, la Société de limonaderie et de brasserie d’Afrique (Solibra), filiale du groupe Castel, a lancé XXL Energy et Doppel Energy Malt. Dernier venu sur le marché local, Brassivoire – coentreprise du néerlandais Heineken (51 %) et du franco-japonais CFAO (49 %) – propose, de son côté, Rhino Energy Malt.

Pour les vendeurs, cette ruée sur les boissons énergisantes est une aubaine qui leur permet de réaliser de bonnes affaires. “Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça marche’’, témoigne Stéphanie E., gérante d’un point de vente en gros, à Port-bouet.

“Je peux vous le confirmer, ça sort beaucoup’’, insiste-t-elle, se refusant toutefois, de livrer ses chiffres de ventes.

Un succès commercial qui indique que ces boissons viennent satisfaire une demande et sont appréciées des consommateurs.

“C’est bon. Quand je me sens très fatigué. J’en bois une. Ça me fortifie. Ça attenue la gueule de bois aussi’’, explique Crépin K., qui leur trouve également des vertus aphrodisiaques.

Chez la gente féminine, la consommation semble beaucoup plus modérée.

“Il m’arrive, de temps à autre, de boire un Cody’s Energy bien glacé quand je sens une grosse fatigue physique’’, témoigne Rosine K., pasteure, qui ajoute avoir, elle aussi, fait le constat de la prolifération de ces marques de boissons sur les surfaces commerciales.

Les promoteurs ont beau vanter leurs vertus énergisantes, cela est encore loin de convaincre Claudia K., esthéticienne, qui “préfère’’ son bon vieux café matinal pour se requinquer.

Et elle fait bien, selon Dr Hélène Godji, médecin à l’hôpital général de Marcory, interrogée par 7info.

“La consommation des boissons énergisantes sans alcool peut être nocive pour la santé en tenant compte de la quantité absorbée (…) Si l’on recherche un effet coup de boost, mieux vaut prendre un café noir avec deux sucres’’, explique-t-elle.

S’appuyant une étude réalisée par des chercheurs aux Etats-Unis, elle ajoute que “la consommation excessive de boissons énergisantes peut causer des lésions micro vasculaires au niveau des reins et conduire à une progression accélérée de l’insuffisance rénale chronique en raison du fructose que contiennent ces boissons’’

Diététicien spécialisé dans le sport, Jonathan Naoum, joint par 7info, est du même avis : “la consommation de boissons énergisantes est dangereuse pour la santé qu’elles contiennent de l’alcool ou pas. Quand on consomme un aliment, il faut le faire pour avoir des nutriments. Le problème des boissons énergisantes, c’est qu’elles n’apportent aucun nutriment.  Le sucre qui y est contenu n’est pas naturel. Il y a donc forcément un cas de danger pour les consommateurs.’’

“La consommation des boissons énergisantes présente des risques de tachycardie (accélération du rythme des battements du cœur), d’insomnie, d’anxiété, tension artérielle et c’est très dangereux pour le cœur’’, précise-t-il.

La composition des boissons énergisantes varie d’un fabriquant à un autre. Mais on y trouve généralement pour une canette de 250 ml et comme l’indique l’emballage : de la caféine (environ 80 mg), la taurine (de 420 mg à 1 g), le ginseng (environ 80 mg), le glucuronolactone (environ 600 mg), du sucre (environ 30 g), des vitamines B et de l’acide nicotinique (environ 20 mg).

De toutes ces boissons énergisantes qui pullulent sur les marchés abidjanais, une tient, visiblement et indiscutablement, le haut du pavé : Cody’s Vody Vodka Energy Mix, plus connue sous le diminutif de Vody et produit par Cody’s drink international.

Reconnaissable par la couleur noire de la canette de 250 ml, Vody contient 18% d’alcool et est essentiellement, selon sa composition, un mélange de substances stimulantes et de vodka. Elle coûte 700 FCFA l’unité.

Prisée en Côte d’Ivoire, surtout par les jeunes, les apprentis des mini bus communément appelés gbaka, cette boisson est consommée par certains, selon plusieurs témoignages concordants, avec des comprimés de tramadol, un antalgique qui maintient le sujet en éveil et dans un état permanent de résistance physique.

Sauf que le mélange de Vody et de tramadol devient une drogue en vogue et dont les effets sont plus que destructeur : Kadhafi. Derrière l’apparente volonté de certains jeunes de se remettre d’aplomb, se cache en réalité de véritables séances de consommation déguisée de drogue.

Pour circonscrire les effets dévastateurs de “Kadhafi’’ sur les jeunes en Côte d’Ivoire, le ministère du Commerce et de l’Industrie et celui de la Santé, de l’Hygiène publique ont, récemment, dans un avis, ordonné la “suspension à titre conservatoire des importations de boissons énergisantes alcoolisées jusqu’au 31 décembre 2023’’.

Arsène T., 30 ans, n’a pas attendu le décret conjoint des ministères du Commerce et de la Santé, avant de réaliser que leur consommation n’était pas sans dangers.

Un peu éméché, de retour d’une virée nocturne, il se rappelle avoir eu l’idée de vouloir reprendre des forces en buvant une canette. Mal lui en a pris. “J’ai eu toute la peine du monde à retrouver mon chemin alors que j’étais à deux pas de ma maison’’, raconte-t-il.

Son ami Jean Claude Niagne, lui a failli y laisser la vie. Il a sombré dans un coma éthylique lié à une overdose après avoir ingurgité le contenu de trois canettes : “il est resté couché inerte pendant deux jours avant de reprendre ses esprits’’, témoigne Arsène, qui a depuis pris ses distances des boissons énergisantes en général.

Serge Alain Koffi

7info.ci_logo

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter 7info

L’INFO, VU DE CÔTE D’IVOIRE