Côte d’Ivoire Culture

Reportage/   Yacolidabouo (Soubré), Tradition orale,  Gobé Blé Mathias, parolier bété, raconte  Zadi Zaourou en « Wuégo »

Mis à jour le 25 mars 2019
Publié le 23/03/2018 à 7:53 ,
Le parolier Gobé Blé Mathias, sur scène à Yacolidabouo, à l'occasion du Festival Didiga, le 23 mars 2018. (photo: DR)
Dans ses exercices de transposition de l’univers du  didiga traditionnel à la société civile, le professeur Zadi Zaourou a cheminé avec Gobé Blé Mathias, parolier bété, l’un des rares pratiquants du genre poétique « wuego ». A la commémoration du sixième anniversaire de la mort du professeur, le parolier bété livre son témoignage au sujet  de  l’intellectuel de Yacoulidabouo (Soubré).  Il parle également de son ambition de perpétuer cette pratique poétique du terroir.
 
Gobé Blé Mathias, parolier bété possède l’esplanade du centre culturel Zadi Zaourou de Yacolidabouo cette nuit du 23 mars 2018. La scène se déroule dans ce village de Soubré, dans le centre-ouest ivoirien. Assis sous les bâches, les participants de la deuxième édition du Didiga Festival écoutent attentivement. En plus des festivaliers venus de la capitale et d’autres contrées du pays, les villageois eux-mêmes montrent un intérêt à l’événement par une mobilisation assidue.
 
Ils veulent certainement pénétrer les profondeurs du message véhiculé par le maître du Wuégué (poésie psalmodiée). A la fin de sa déclamation en langue bété, il est applaudi par la foule.
 
« Dans le poème que je viens de dire, je parle d’un animal qu’on appelle « blèhè » qui vit dans la forêt. Cet animal, lorsqu’il est couché et qu’il se lève, il reste des traces sur le lieu de sa couchette. L’animal est parti. Mais est ce que la place est restée ? Oui. Je sais. La place doit rester », indique le parolier interrogé par Pôleafrique.info.
 
Par l’image du « blèhè »,  Gobé Blé Mathias fait allusion à la sauvegarde de l’héritage culturel du professeur Zadi Zaourou décédé en mars 2012.  « C’est une image que je donne pour parler du relais qu’occupe son cadet Eugène Zadi à travers l’organisation du festival didiga ».
 
Le parolier tient à la sauvegarde de cet héritage car il affirme avoir du respect pour le travail théorique de Zadi Zaourou à partir d’un corpus de l’oralité.
 
D’où tire-t-il son art ? « J’ai hérité du wuégo de mon père. Lui-même il l’a appris de son père. Nous étions au campement à Saïoua quand j’apprenais le wuégo », informe le parolier.  
 
Comment fait-il pour déclamer sans relâche ? « Quand je vois un rassemblement, quand il y a du monde, je suis inspiré et les mots me viennent pour manier le bété. Je ne prépare pas de texte avant de monter sur scène. Je ne bois pas d’alcool non plus », répond-t-il.
Le parolier  rencontre le professeur à la demande de ce dernier car il voulait écrire sur ses poèmes bété.
 
« Quand il analyse les chansons que je compose, je suis moi-même étonné. Grâce à lui, je suis parti en Italie en tant qu’historien traditionnel. Les gens pensaient que les peuples de l’Ouest viennent du Libéria. Je leur ai dit que ce n’est pas vrai. Le Libéria n’existait pas, il y a 600 ans. Nous le groupe Krou, nous sommes venus d’Afrique du Sud. Nous sommes sortis sur le fleuve Sassandra et nous nous sommes installés là.  Et dans mes poèmes, je parle de ces histoires. Je les ai racontées à Zadi Zaourou en 1999.  De 1999 à 2001, il a beaucoup travaillé à partir de mes poèmes », se remémore le gardien de la tradition.
 
Il dit vivre au village depuis la mort de Zadi Zaourou car il ne voulait pas rester en ville.« Quand je voyageais régulièrement avec Zadi Zaourou, j’arrivais à mener des affaires à partir de mon art.  Zadi est un homme gentil. Malheureusement il nous a quittés », regrette le parolier.
 
Le maître du Wuégo constate que les danses et les chansons authentiques sont en train de disparaitre. « Quand nous les artistes de la tradition, nous disons un mot, les enfants semblent s’ennuyer. Au temps de Zadi zaourou, cela n’était pas possible, estime l’artiste. C’est vrai que Zadi Zaourou a formé de nombreuses personnes, mais elles ne peuvent pas prendre sa place », continue-t-il de regretter l’homme pluridimensionnel.
 
Toutefois Gobé Blé Mathias ne baisse pas les bras. Il projette un club de danse dans le Centre-ouest ivoirien. En ce moment, il dit  former  dans son village  deux  enfants qui apprendront à créer et à réciter des poèmes bété comme lui. « Je veux que nos enfants reviennent à la tradition. Si nos enfants pouvaient revenir ». C’est sa prière. Aussi souhaite-t-il un accompagnement d’éventuels mécènes.
 
Expliquant l’art du Wuégo, le professeur Zigui Koléa indique qu’il  est un genre poétique du pays bété. « Littéralement, wuégo signifie la source des pleurs. Contrairement à la plupart des genres poétiques traditionnels, le wuégo est caractérisé par son entière indépendance vis-à-vis de la musique. La parole y est bien sûr psalmodiée mais comme le dit Bernard Zadi Zaourou, la parole ne se liquéfie pas totalement en chant. Il n’y a donc pas d’orchestre. Il n’y a pas non plus d’instruments d’accompagnement dans le wuégo. C’est une parole nue, tenue par une personne. Son support instrumental n’existe pas. Il n’y a pas de chœur. Il s’agit, selon le théoricien, d’une poésie élégiaque, avec une thématique historique, sociologique et philosophique ». Les funérailles sont l’un des lieux de prédilections du  wuego.
 

Selon le professeur Zigui Koléa, le wuego  est pratiqué par de rares artistes  comme notre parolier Gobé Blé Thomas de la sous-préfecture de Nayo, du département de Saïoua.

Le parolier Gobé Blé Mathias, sur scène à Yacolidabouo, à l’occasion du Festival Didiga, le 23 mars 2018. (photo: DR)
 
Nesmon De Laure, envoyée spéciale
Pôleafrique.info
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