Côte d’Ivoire

RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… » (Épisode 1)

Mis à jour le 18 juin 2018
Publié le 04/12/2017 à 12:47 , ,

RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… »

C’est l’histoire, dramatique et émouvante, d’un migrant ordinaire. Il est Ivoirien et comme les autres, il a un jour de décembre 2016 décidé de partir, un rêve d’Europe en tête. Comme les autres il a été pris dans les griffes des vendeurs d’illusion, passeurs, esclavagistes, intermédiaires véreux… il n’a évité aucun des pièges qui l’attendaient en chemin. Il a tout connu de la douleur de ces jeunes africains sub-sahariens qui, du désert du Niger à la mer Méditerranée en passant par la Libye, ont tenté leur chance pour souvent trouver la mort. Lui, a réussi. Mais à quel prix? Pour les besoins du récit nous l’appellerons Ahmed. Il a accepté, depuis la France où il réside désormais en clandestin, de parler à PoleAfrique.info. Un récit glaçant que nous proposons en cinq épisodes.


Épisode 1- Pourquoi j’ai quitté Abidjan

Chaque histoire est singulière mais toutes convergent en un point, l’envie d’ailleurs. Ahmed, 37 ans, jeune Ivoirien de la commune d’Adjamé à Abidjan, ne déroge pas à la règle. Déterminé à « se chercher » pour améliorer ses conditions de vie, lui, comme d’autres, rêve d’Europe. Cela tournait depuis longtemps dans sa tête. Mais un accident de parcours le détermine. En ce début décembre 2016, il se décide à faire le grand saut. Partir, destination la France. Mais sans visa d’entrée, il faudra trouver un passeur au Niger, puis en Libye et enfin pour traverser la Méditerranée. Ça tombe bien, il a mis de côté un petit pécule. Arrivé sur les côtes européennes, il se débrouillera bien. 

« Je travaillais dans une entreprise en Côte d’Ivoire comme chauffeur. Cela faisait 2 ans et 4 mois que j’y étais et je me disais sincèrement que si tout se passait bien, je n’aurais pas vraiment besoin d’aller en Europe. J’ai beaucoup d’amis qui ont réussi à y aller. Ils revenaient souvent pendant les vacances, accueillis en héros par leurs familles respectives et donc j’ai voulu avoir le même succès. Mais avec le boulot que j’avais, j’ai mis ce projet en veilleuse jusqu’à ce qu’on m’annonce une crise dans l’entreprise. Un jour, je ne me rappelle pas vraiment la date, mon patron m’a appelé pour m’expliquer qu’il procèderait à une réduction du personnel de l’entreprise et que j’étais sur la liste des licenciés. Ma couverture sociale me serait retirée et mes droits payés. Comme j’étais en CDD (contrat à durée déterminée), mes droits ne valaient vraiment rien. Et là, j’ai vu tout mon monde s’écrouler. Je suis l’ainé de ma famille. Depuis tout petit j’ai fait face à plusieurs difficultés. Je n’ai pas vraiment eu une vie facile et on vient me retirer le peu que j’avais, qui me permettait de m’occuper de ma famille, c’était difficile », raconte Ahmed encore ému.

La décision de partir est donc prise. Les moqueries de sa famille sur sa situation sociale ne font que renforcer sa détermination. Il partira, mais ne partira pas seul. Son petit frère, âgé de 15 ans, sera du voyage, avec la bénédiction de sa mère.

« Mes droits de licenciement ont été payés. 650 000 FCFA, environ 1000 Euros.  J’ai quitté l’entreprise. Depuis longtemps, je subissais la pression de ma famille. Tout le monde disait ce qu’il voulait de moi. Mes propres parents, les frères de mon défunt père, me traitaient de tous les noms. Ils disaient que j’étais un enfant maudit et que je ne réussirais jamais. Ils se moquaient de moi quand ils voyaient mes amis revenir d’Europe avec une meilleure situation sociale. Ce sont des choses que j’ai subies depuis des années sans jamais pouvoir réagir. Alors quand l’occasion s’est présentée, j’ai décidé d’affronter le périple de la traversée de la Méditerranée vers l’Europe. Je savais que malgré tous les papiers et toutes les motivations que je présenterais à l’ambassade d’Italie en Côte d’Ivoire, on ne me donnerait jamais le visa. N’ayant donc connaissance d’aucun circuit, j’ai parlé de mon projet à plusieurs personnes jusqu’à tomber sur un apprenti de Gbaka. On était ensemble à Abidjan. Un jour il m’a appelé d’Italie, pour me dire qu’il avait réussi à y aller par la Libye. Je lui ai donc demandé de m’aider à le rejoindre. C’est là qu’il m’a confié l’existence d’un circuit qui pourrait me permettre de quitter Abidjan pour Niamey, puis de Niamey à la Libye et de là, prendre une embarcation pour l’Italie par la Méditerranée. Une présentation simple mais je me doutais que ce n’était pas aussi facile. Par ce jeune, je suis entré en contact avec un ressortissant malien, installé en Libye, à Tripoli, depuis plus de 30 ans. Il est marié et père de plusieurs enfants. Ce dernier m’a confié à un ivoirien, en Côte d’Ivoire même. C’est avec lui que je devais tout arranger avant de partir. Il faut savoir que  celui-ci avait été très réticent à l’idée de m’aider mais voyant ma détermination, il a finalement accepté. Mais je ne voulais pas partir seul. J’ai donc demandé à mon frère junior de faire le chemin avec moi. Il a refusé parce qu’il venait d’être père d’un petit garçon. Il avait donc envie de fonder une famille. Je me suis alors tourné vers le cadet, le plus jeune, 15 ans, et lui, il a accepté de me suivre. Il avait déjà l’habitude de voir des images de migrants à la télé, et deux de ses amis avaient même réussi à aller en Europe par la Méditerranée. Il était préparé moralement. J’ai demandé à ma mère de m’accompagner avec ses bénédictions. Elle a été peinée de me voir partir, moi son premier fils. Mais il le fallait. C’est donc meurtrie qu’elle a béni mon voyage, en me recommandant de prendre soin de mon frère. Le trajet devait coûter 865 000 FCFA chacun, répartis comme suit : 800 000 pour le voyage jusqu’en Europe et 65 000 pour le ticket de car jusqu’à Niamey. Avec mon petit frère, cela revenait à 1 710 000 FCFA. Somme que j’ai payée avant mon départ». Plus rien ne pouvait plus l’arrêter. Même pas les tentatives de dissuasion de son ancien employeur.

« Lorsque j’ai fait part de mon projet de départ à mon ancien patron après le licenciement, il m’a formellement déconseillé de partir. Je lui ai dit que même si j’arrivais à avoir un boulot de vigile, cela me conviendrait parfaitement. Il m’a demandé si le trajet était sûr et m’a plusieurs fois demandé de venir le rencontrer. L’objectif était de me dissuader d’aller en Europe par la Méditerranée. Il a même appelé d’anciens collègues pour me raisonner mais rien n’y a fait. Et puis, il ne m’a rien proposé de concret. Entre railleries familiales et licenciement subit, ma décision était prise. Je devais partir et montrer que je pouvais réussir ». Ahmed est prêt à prendre son envol. S’il savait que le voyage ne serait pas simple, se doutait-il de ce qui l’attendait?

Éric Coulibaly

Source : Poleafrique.info

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