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Libre expression / Drôles de questions !

Mis à jour le 10 juillet 2018
Publié le 21/02/2018 à 5:40

Il y a quelques jours, j’ai déjeuné avec un ambassadeur d’un pays occidental et son épouse. Ils étaient auparavant en poste dans un pays asiatique et en étaient à leur premier séjour dans un pays d’Afrique subsaharienne. Au cours du déjeuner, je dois avouer que certaines questions posées par l’épouse de l’ambassadeur m’ont laissé sans voix.

Tenez, dès que nous nous sommes assis au restaurant, l’ambassadeur a demandé la permission d’enlever sa veste parce qu’il faisait vraiment chaud ce jour- là, et son épouse m’a alors posé cette question : « pourquoi vous obligez-vous ici à souffrir autant en portant des costumes européens par cette chaleur, alors que vous avez de si belles chemises ? » Je suis resté bouche bée. Dire que pour ce repas j’avais porté un de mes plus beaux costumes, et mon collaborateur qui m’accompagnait avait porté sur son costume une très belle cravate bleue. Je pensai à mon costume trois pièces que j’avais porté le jour où le chef de l’Etat recevait les vœux du monde de la presse. J’avais chaud mais j’avais prévu des mouchoirs. C’était le prix à payer pour être élégant. Tout le monde m’avait d’ailleurs félicité pour ce beau costume trois pièces. L’ambassadeur nous raconta que lorsqu’il est arrivé, il avait porté une chemise ivoirienne lors d’une réception, croyant ainsi nous faire plaisir ; mais il a remarqué qu’il était le seul habillé ainsi et il a compris qu’il indisposait. Son épouse nous raconta que dans le pays d’où ils venaient, les populations étaient fières de porter leurs costumes traditionnels qui étaient très beaux. Eh bien, nous, euh… nous aimons porter des costumes trois-pièces, surtout lorsqu’il fait très chaud. Gênés par les remarques de la dame, mon collaborateur et moi n’osâmes pas enlever nos vestes comme son mari. Il nous fallait assumer. Puis, elle nous demanda pourquoi il y avait autant d’ordures dans notre ville. Je restai encore une fois bouche bée. Oui, pourquoi y avait-il autant d’ordures dans notre capitale économique et dans toutes les autres villes ? Je n’en sais rien. C’est une question que je me pose tous les jours. Y a-t-il vraiment une impossibilité à les ramasser ? Je n’en sais rien. La dame nous raconta qu’elle avait été un jour au marché d’Adjamé, et qu’elle n’était pas prête d’y retourner, tellement elle avait été dégoûtée par la saleté des lieux. Mon collaborateur crut bien faire en expliquant que de gros efforts avaient été faits, sinon la ville était encore plus sale que cela auparavant. La dame ouvrit de grands yeux : « vraiment ? Mais est-ce que la population s’est soulevée un jour, a manifesté pour réclamer de vivre dans un environnement propre ? » Nous dûmes lui avouer qu’à notre connaissance, cela ne s’était jamais produit. « Est-ce comme ça dans tous les pays africains, » demanda-t-elle encore. Nous lui citâmes les cas du Ghana et du Rwanda qui étaient reconnus comme étant des pays très propres. Cela la rendit encore plus perplexe : « mais alors, pourquoi vous, vous n’y arrivez pas ? » demanda –t-elle encore. Et encore une fois nous restâmes sans voix. Enfin, elle nous parla du choc qu’elle avait ressenti en voyant des hommes se soulager dans les rues, sans gêne. « En Asie les gens sont si pudiques que jamais vous ne verrez un homme faire cela dans la rue. » Eh oui, il y a l’Asie et il y a nous.

Mon collaborateur et moi ne fûmes à l’aise que lorsque nous commençâmes à parler de politique. C’est la seule chose qui intéresse l’Ivoirien. Il peut effectivement vivre au milieu des ordures et des moustiques, au bord de caniveaux ou de mares emplis d’eaux puantes, être racketté tous les jours, il ne bronchera pas. Son seul souci est de savoir qui sera candidat à la présidentielle de 2020. Même s’il sait que quel que soit le candidat qui l’emportera, rien ne changera pour lui, il est prêt cependant à tout braver et tout affronter pour soutenir celui qu’il aura choisi.

Il n’empêche. Quand comprendrons-nous que nous devrions avoir honte de vivre dans un tel environnement insalubre ? Quand comprendrons-nous qu’il ne s’agit plus de faire des actions d’éclat aux effets éphémères, mais de penser une vraie politique de salubrité ? Il s’agit tout autant d’une question de santé publique que de notre honneur. Cela ne nous gêne vraiment pas d’être classés parmi les gens sales ? Nous sommes vraiment fiers de nous lorsque nous voyons nos lagunes qui avaient valu à Abidjan le surnom de « perle des lagunes » se fermer à cause des ordures que nous y déversons ? Les premières choses que l’on voit en visitant toutes nos villes de l’intérieur sont les ordures déversées aux entrées. On ne se donne plus la peine de les cacher. Pauvres de nous ! Où espérons-nous aller avec ça ?

Venance Konan

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