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La dictature de la rue chasse des présidents

Mis à jour le 11 novembre 2019
Publié le 11/11/2019 à 4:35 , ,

Amérique du Sud, Afrique de l’Ouest, Proche/ Moyen-Orient…un cyclone s’abat sur les pouvoirs politiques. Dernier bilan du cyclone des rues : la démission du président bolivien Evo Morales ce dimanche 10 novembre.

Un ouragan a déferlé sur l’Amérique du Sud, emportant sur son passage le Président bolivien Evo Morales au pouvoir depuis près de quatorze ans.

Le scrutin du 20 octobre dernier (bien que largement contesté par l’opposition et la population bolivienne) l’avait désigné vainqueur, lui conférant ainsi un quatrième mandat allant jusqu’en 2025. Mais, après trois semaines d’intenses protestations sociales paralysant l’activité économique du pays, le chef d’État bolivien, acculé de toutes parts, n’a eu d’autre choix que celui de présenter sa démission dans une Bolivie en feu. Un premier coup dur a affaibli le dirigeant, notamment les départs en cascade de son vice-président, des présidents du Sénat et de la Chambre des députés, ainsi que ceux de plusieurs ministres et députés. C’est l’armée et la police boliviennes qui lui auront finalement porté le coup de grâce en retirant leur soutien au chef d’État et en l’appelant à démissionner « pour le bien de la Bolivie ».

Une foule joyeuse s’est alors empressée de célébrer la nouvelle dans les rues, agitant le drapeau bolivien entre rires et larmes après la violente vague de contestations ayant fait 3 morts et 383 blessés.

Geoffroy-Julien KOUAO, politologue, qualifie le dernier mandat d’Evo Morales comme « le mandat de trop. Le président voulait un quatrième mandat. Il l’a obtenu. Mais, le peuple, le souverain, en a disposé autrement ». Le politiste confie à 7info.ci que ce qui vient de se passer en Bolivie est symptomatique de l’air du temps. « Les peuples ne veulent plus d’hommes providentiels. L’alternance politique est la nouvelle religion des nations en voie de développement » assure-t-il.

Bien qu’il reconnaisse qu’Evo Morales ait été élu démocratiquement  en 2006,  incarné pendant longtemps l’espoir d’un peuple et fut un bon président pour la Bolivie, (en effet, cet indigène indien, éleveur de moutons et producteur de coca a réduit, en une décennie, les inégalités sociales, « héritage des gouvernements libéraux précédents ») ; il lui impute cependant une erreur : « une erreur historique. Atteint par la maladie des autocrates, il s’est cru indispensable. Aujourd’hui, il ne lui reste pour seule option que l’exil que lui offre le Mexique. L’exil, le destin de tous ceux qui aspirent à la présidence à vie. Malheureusement, aujourd’hui, il quitte le pouvoir  par la petite porte. L’histoire retiendra de lui, l’image d’un autocrate qui a modifié la Constitution de son pays pour s’accrocher au pouvoir…pathétique ! » conclut-il.

Sur Twitter, l’ancien ministre des Sports de Côte d’Ivoire,  Alain Michel Lobognon est sur la même longueur d’ondes que le politologue et soutient que « Le goût du pouvoir, marqué par un troisième mandat aux forceps, a eu raison d’Evo Morales, contraint de quitter la scène politique sous la pression du Peuple, de la Police et de l’Armée boliviennes. Le monde connaît une nouvelle révolution, celle de la démocratie ».

Cela n’est pas sans rappeler la tornade qui a balayé son homologue soudanais, Omar El Béchir. Après 30 ans de pouvoir sans partage, deux mandats d’arrêt de la Cpi lancés contre lui (en 2009 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en 2010 pour génocide, les deux en lien avec le Darfour et ayant causé la mort de 300.000 personnes), les violents combats menés par quelques régions marginalisées et quatre mois de manifestations inédites, (déclenchées fin 2018 par le triplement du prix du pain), le gouvernement d’El Béchir est renversé, laissant place au « Conseil souverain », un nouvel ordre composé en majorité de civils, militaires et chefs de la contestation.

La foudre a aussi frappé au Proche/ Moyen-Orient, en Irak, où la vindicte populaire fait rage et entend l’emporter contre le régime de son président Barham Saleh.

Bagdad est devenu un véritable champ de bataille où s’affrontent civils et forces armées. Depuis le 1er octobre, l’on déplore la mort de près de 300 personnes, en majorité des manifestants, et plus de 12.000 blessés lors de divers mouvements de contestation. Le peuple réclame des emplois, dénonce la corruption de ses hommes d’État et exige un renouvellement de la classe politique demeurée inchangée depuis la chute du dictateur Saddam Hussein il y a seize ans.

Le 6 octobre dernier, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a annoncé une série de mesures sociales tendant à apaiser les protestations ; en vain.

Un retour à la vie normale semble bien loin, puisque le mouvement de « désobéissance civile » bloque depuis plusieurs jours écoles, administrations et infrastructures. La répression s’accentue et il semble que l’État pliera difficilement puisque le président Barham Saleh et le Premier Ministre, qui avaient cessé de se parler selon des sources proches, se sont montrés ensemble samedi

La tornade populaire avait sévit en Afrique de l’Ouest, emportant Blaise Compaoré. 

En 2014, des centaines de milliers de manifestants investissent la rue, soutenus par l’opposition et réunissant des dizaines de milliers de personnes dans la capitale. Leur principale exigence est une revendication qui revient souvent en Afrique : empêcher la volonté présidentielle de changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir.

La Guinée goûte depuis quelques semaines à cette patate chaude. Des milliers de guinéens entendent faire plier l’échine au Pr Alpha Condé, qui après avoir lutté contre Lansana Conté et les pouvoirs militaires successifs, veut s’accrocher au douillet fauteuil présidentiel par une réforme constitutionnelle afin de briguer un troisième mandat.

Mais, le nouveau régime de la rue ne l’entend pour l’heure pas de cette oreille.

Manuela Pokossy-Coulibaly

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