Politique

Interview- Synzi DADIE : « Détourner 30 milliards Fcfa en 2020 … On n’est pas en 1998»

Mis à jour le 3 mars 2020
Publié le 02/03/2020 à 4:48 , , , , ,

Une polémique est née sur le financement de la carte nationale d’identité ivoirienne. Que savez-vous du sujet qui est lié à un projet Banque Mondiale?

 Il y a un projet de la Banque mondiale appelé WURI (West Africa Unique Identification for Regional Integration and Inclusion) c’est-à-dire Unique Identification pour l’Intégration Régionale et l’Inclusion en Afrique de l’Ouest. Ce projet couvre des pays tels que le Bénin, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, la Sierra Léone, la Côte d’Ivoire. Il vise à mettre en place un fichier élargi qui prend en compte toutes les populations, nationales et non-nationales, réfugiés, en transit, présentes dans chacun de ces territoires afin de l’intégrer, attribuer un numéro unique à chaque personne.

Les résultats (données) d’un tel projet seront mis à la disposition des différents gouvernements qui en feront ce qu’ils voudront, notamment s’y appuyer pour mettre en œuvre efficacement leur politique de tous genres ; sociale, économique, de santé et même, le cas échéant, les utiliser pour les registres nationaux d’identification, délivrer des extraits de naissance, etc. L’usage du fichier dépendra donc de chaque état, et non sur injonction de la BM. Ce projet financé par la Banque Mondiale à hauteur de 67 millions de dollar, doit en principe démarrer en 2021 jusqu’à 2024 bien que les conventions aient été signées courant 2018.

Ce projet prend-il clairement en compte le financement de la carte nationale d’identité dans les pays concernés ?

Non. Ce projet n’est pas un financement de la CNI ivoirienne encore moins le financement de nos initiatives d’identification. Il faille faire la part des choses. C’est un projet à part. Mais, on peut voir sa répercussion, à terme (2024), sur les processus d’identification locaux, vu qu’il est plus complet et peut servir à l’avenir, afin que nous n’ayons pas à recommencer in fine, les processus d’identification comme nous le faisons depuis des décennies. On a été identifié en 2000, plus largement en 2010… mais on recommence encore en 2020.

A quoi répond cette communication de M. Guikahué, dont le parti était a priori, informé de ce projet depuis sa signature ?

Sûrement que M. Guikahué a ses sources et ses motivations. L’on dira qu’il est dans son rôle de politique. Il s’agit tout de même de 67 millions de dollars de la Banque Mondiale, en dette à la Côte d’Ivoire, soit 34 milliards de nos francs remboursable sur 30 ans avec une période de grâce de seulement 6 ans. Il aurait suffi de demander des clarifications à la Banque Mondiale et il n’y aurait pas eu polémique. Comme je l’ai souligné, ce financement de la Banque Mondiale n’a rien à voir avec notre processus en cours.

Le gouvernement a annoncé la démultiplication des centres d’enrôlement, est-ce un début de solution pour faciliter l’accès à la CNI ?

C’est un début salutaire qui montre que le gouvernement a ouvert sa fenêtre pour voir le regard du peuple. Mais vous savez, cela ressemble à une autre torture que nous nous imposons pour pas grand-chose. En principe la délivrance des CNI en Côte d’Ivoire devait être un processus qui va de soi. Par simple triangulation des données. Il aurait suffi que l’on utilise ce dont nous disposons déjà. A savoir : Demander à tous ceux ont un passeport de venir retirer leurs CNI automatiquement sur la base du dossier du passeport déjà présent dans les fichiers. Parallèlement, tout ivoirien disposant d’un permis, d’un acte de mariage légal, peut aussi retirer sa CNI, tous les fonctionnaires peuvent en faire de même. Cela vaut aussi pour les étudiants, ceux qui ont des entreprises, les travailleurs enregistrés à la CNPS. Je parle donc d’un croisement des nombreux fichiers dont dispose le gouvernement. Tout y est. On y présente les mêmes papiers, certificats de nationalité, extraits de naissance ; d’ailleurs, celui qui a un compte bancaire a clairement produit les mêmes papiers.

Il faut dématérialiser ce volet de notre administration et sortir des papiers à répétition.  Pourquoi donc se comporter comme Sisyphe et réinventer la roue à chaque fois. Que fait-on des fichiers électoraux de 2000, et surtout de 2010 qui ont coûté si cher au contribuable par l’endettement du pays ? C’est comme si la technologie était si figée en Côte d’Ivoire.

Cela dit, le gouvernement doit continuer en ouvrant des milliers de sites d’enrôlement afin de se rapprocher du citoyen qui reste un porteur de droit. Au niveau du prix, il faut être conscient que les frais annexes de transport et autres, seront difficiles à surmonter pour beaucoup d’ivoiriens. Le pouvoir d’achat étant maigre. Alors si on veut un processus inclusif, c’est de faire du social pour tous que de promouvoir le particularisme dans la sphère des décideurs. Car, quoi qu’on dise, la CNI, c’est la preuve de la nationalité selon notre système. Lequel système exclut généralement ceux qui n’ont pas la CNI donc les dépouille de leurs droits liés à leur nationalité. Il faut donc agir de manière à ne spolier qui que ce soit.

Pour certains de vos compatriotes, l’identification devrait de façon inéluctable aboutir à la délivrance sans frais de la CNI, est-ce de cette façon qu’il faut comprendre l’esprit et la lettre de ce projet ?

Non. WURI est un programme différent . Mais vous savez, il y a un autre projet qui surement perd certains. C’est le ID4D de la Banque Mondiale. Un prêt de 50 millions de dollars (environs 24 Milliards de FCFA). ID4D veut dire Identification For Development (Identification pour le développement). Sûrement que le mot identification éconduit certains. Mais il s’agit à travers ce projet d’identifier les populations dans le cadre de la mise en œuvre des programmes de filets sociaux et des politiques de protection sociale. Ici, identification ne veut pas dire carte d’identité. La Banque mondiale n’a donc pas financé la CNI, encore moins fait injonction de gratuité.

Dans une contribution, vous avez essayé d’éclairer la lanterne de tous mais difficile exercice. Comment expliquer ce doute ?

En effet, nous tenons une opinion, mais nous la tenons sur la base d’informations fondées, de témoins oculaires du processus. Le doute reste cependant normal. Il peut être prémonitoire. Seulement, quand des politiciens en vue et virevoltants, font des déclarations avec autant d’assurance, il va sans dire que cela choque des ivoiriens qui ont le droit de se demander ce qui se passe dans leur pays, ce qu’on fait de leur argent. Car, évidemment, c’est trop gros ! C’est donc un doute au bénéfice de la mentalité de plus en plus mâture des ivoiriens. Ils sont en effet regardant de la gouvernance. Et même si tous les ivoiriens ne se prononcent pas souvent, chacun est soucieux d’un minimum de bonne gouvernance dans un monde où l’accès à l’information est devenue basique. On n’est plus en 1998.

Estimez-vous que le gouvernement a failli dans la communication autour du registre unique en cours ?

Sûrement qu’une clarification à la télévision nationale aurait aidé. C’est cela aussi la recherche de la phase avec les populations. On ne peut pas se contenter de quelques prises de bec sur les réseaux sociaux, de propos laconiques édulcorés. La nation, on ne l’informe pas sur Facebook dans un pays au taux de pénétration internet de 19% seulement. Quand on est soucieux de questions nationales, on les règle efficacement par des canaux nationaux. On agit en homme d’état et avec méthode mais surtout avec transparence.

Cela dit, le gouvernement a sa stratégie de communication que je ne maîtrise pas. Il mesure mieux les algarades qui pourraient découler de la confusion populaire.

Identification est-elle synonyme de délivrance de CNI ?

Pas forcément. Notamment dans le ID4D dont j’ai parlé et dans le cadre du projet WURI. Si toutefois, après le projet WURI, l’Etat décide de profiter des résultats pour délivrer des CNI à ceux des ivoiriens qui n’en auraient pas, ce sera à notre avantage à tous.

Dans le cadre du projet de la Banque Mondiale, qui est concerné ?

Dans le cadre du projet WURI, c’est tout le monde sans exclusive. Y compris les nouveau-nés. La technologie avancée que ce projet utilisera permettra de désagréger tous les identifiés de plusieurs façons afin de faciliter l’usage de ces données. Il est prévu qu’avec ton numéro unique, tu sois désormais en mesure d’aller ouvrir un compte bancaire sans papier, faire des dossiers sans retour indéfini aux mêmes papiers. Mais tout cela est sous réserve souveraine des réalités et décisions internes des différents gouvernements.

Comment analysez-vous la communication du PDCI-RDA sur le sujet ?

 Le PDCI, c’est le PDCI, c’est un parti d’expérience. Il sait ce qu’il fait pour mobiliser ses militants et se repositionner à l’aune des élections proches. Rien n’a été fait au hasard. Je ne juge donc pas ses démarches de communication. Mais le bon sens voudrait que le parti produise les preuves de ses allégations. Il n’y a pas de mal à cela pour un parti qui aspire à gouverner les ivoiriens à nouveau. La redevabilité vis-à-vis des ivoiriens en vaut l’effort. Par ailleurs nous estimons qu’on ne sert pas la bonne cause en cherchant à condamner ou accabler le gouvernement à la moindre occasion en faisant feu de tout bois. Ca décrédibilise. Ca fait perdre le charme. Sur plusieurs dossiers de gouvernance si flagrants, on ne peut pas se taire et accuser subitement avec tant de légèreté et d’émotion un gouvernement sur la question du financement de la Banque Mondiale, remettant de facto, en cause la crédibilité de cette institution, avec laquelle l’on a collaboré, et qu’on espère collaborer si on gagnait les élections. En 2020, il est difficile de détourner 30 milliards de la Banque Mondiale incognito.

La Banque Mondiale a clarifié le débat mais est-ce suffisant pour apaiser vos compatriotes ?

Cela devrait être suffisant. Mais on est en droit de demander une nouvelle clarification de la part du gouvernement, notamment pas un point de presse. Ce serait à leur décharge.

Existe-t-il des pays en Afrique où la CNI est délivrée sans frais aux citoyens ?

 Je n’en connais pas. Mais dans certains pays le coût est très minime. Encore, chaque pays a ses réalités.

 Quel appel pouvez-vous lancer à vos frères et sœurs ivoiriens à l’aune des élections à venir ?

Il est difficile quand on peut s’offrir une CNI au coût proposé par l’État, que de demander à tout le monde de se faire violence et se faire enrôler. Car il y a des ivoiriens qui ne peuvent pas avoir 5000 F, ne nous voilons pas la face. Mais, il serait plus que compromettant de ne pas participer aux différents processus. Chaque ivoirien compte. Il faut donc que chacun prenne la place qui est la sienne dans ce processus électoral.

La Côte d’Ivoire est-elle devenue un pays en danger à cause de sa classe politique ?

La classe politique agit selon sa culture et ses ambitions. Si nous estimons qu’elle met le pays en danger, alors faisons entendre nos voix et mettons le pays hors de danger. Il ne s’agit donc pas d’accuser des gens que nous choisissons nous mêmes. Ce serait dissocier le fruit de l’arbre et dire que le fruit est mauvais.

Le rejet psychologique d’une frange d’ivoiriens, vos frères du nord, n’est-il pas la clé de voûte de la pagaille ivoirienne ?

Je ne pense pas que des ivoiriens du nord font l’objet d’un rejet quelconque. On sait, et c’est la nature de la politique ivoirienne qui le veut, que chaque parti politique revendique une base ethnique tacite. Mais si nous regardons l’histoire des grands peuples, cela n’est pas un problème en soit. Savez-vous que je ne suis pas déranger qu’un Agni d’Aboisso soutienne un leader politique Agni d’Aboisso ? Le choix du citoyen est guidé par quelque chose et nous venons tous de quelque part. Si ce leader t’arrange et représente au mieux tes aspirations ainsi que ta vision pour le pays, c’est tant mieux. Là où le tribalisme doit cesser de s’appliquer, et on l’a vu par le passé dans ce pays, c’est au niveau du choix des personnes pour la gestion du bien public. En ce moment, on vise uniquement les compétences, on fait des appels à candidature objectifs et on place les compétences là où il faut quel que soit le choix politique de cette personne. C’est ce que Singapour a fait et les résultat son exaltants. On ne doit donc pas avoir peur des appartenances politiques ou ethniques. On ne doit pas avoir peur de la pluralité qui constitue l’élégance de la démocratie. On ne doit pas avoir peur de l’attache culturelle et tribale du citoyen. On ne doit pas non plus dire qu’un citoyen «refuse de soutenir son frère » quand un Sénoufo soutient un Bété ; Si nous voulons bâtir une nation, on doit faire en sorte que ces choses soient plutôt des avantages que des facteurs cristallisant l’euphorie et la violence. Le pilote ivoirien, qui pilote un avion ivoirien a une tribu, il a sûrement des membres de sa tribu dans l’avion ; mais il pilote pour le bien de tous et pour lui-même. Faisons-en sorte que celui qui gouverne au bien public, gouverne comme un bon pilote.

Alors, comment sortir de ce cycle maudit d’élections qui fait peur ?

La focalisation sur les élections est aussi le fait de beaucoup de carences sociales. Le chômage, le manque de visibilité, le manque d’opportunités et d’option, la chute des rêves des jeunes. On a aussi manqué de réformer notre démocratie. On a un homme fort, homme à faire et défaire les  population « sous-hommes ». On n’a jamais eu d’assemblée constituante afin d’avoir une constitution peaufinée à la lisière des aspirations nationale. On innove peu. Et on fait avec. Cela fait que tout le monde a le regard tourné vers celui qui sera élu. Quel regard peut-il être épargné par le soleil. Dans les nations développées, à part les média qui s’en font les choux gras, l’élection présidentielle ne bloque pas pour autant le pays et il n’y a aucune psychose pré ou post-électorale. Dans certains pays, des populations ignorent qui est leur chef de l’Etat. Il n’y a pas de mal à ça. Nous devons donc travailler à activement apporter des réponses pragmatiques à ces carences et chacun fera ce qu’il a à faire. Le politicien fera la politique et la vie ne s’arrêtera pas.

La Côte d’Ivoire peut-elle au-delà des prières et propos hypocrites, retrouver sa sérénité qui faisait son exception ?

Il existe en chaque homme, politique ou pas, un brin d’attache à notre pays. Oui, on s’en sortira. Je suis optimiste parce que je suis ivoirien et Nous Sommes UN.

Réalisée par Adam’s Régis SOUAGA

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