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Interview- Palé Dimaté (Spécialiste des questions Internationales) : « L’intervention de la communauté internationale n’a pas adopté une posture attentiste »

Mis à jour le 26 novembre 2018
Publié le 24/01/2017 à 6:35

Palé Dimaté est un spécialiste ivoirien des questions internationales. Il se prononce pour politikafrique.info sur la crise postélectorale en Gambie qui a connue une issue heureuse avec le départ pacifique de Yahya Jammeh du pouvoir.

Votre analyse sur la crise postélectorale qu’a  connue la Gambie ?

La situation était préoccupante à tout égard. Le refus d’obtempérer de Yahya Jammeh, l’investiture d’Adama  Barrow hors du pays et les troupes de l’Ecomog positionnées aux alentours de la Gambie  ont achevé de nous convaincre que nous tendions  inéluctablement et irrésistiblement vers l’effondrement sans précédent de l’Etat et de la société  Gambienne. Et La communauté internationale en a fait  une priorité, en s’investissant intelligemment et promptement pour circonscrire le mal.

Y avait-il un si grand risque ? Vous voulez parlez d’un coup d’Etat en ce moment ?

Je parle d’effondrement et non d’un coup d’état.

Ah ! Y a-t-il une nuance ?

Oui, pas seulement une nuance mais une différence. Certes, le coup d’Etat ou les coups d’Etat répétés peuvent conduire  à l’effondrement d’un Etat. Donc l’origine de l’effondrement d’un Etat peut provenir d’un  coup d’Etat. En effet, au mépris de la législation, des groupes tentent de prendre le pouvoir soit par les armes, soit en soutenant une insurrection ou un soulèvement populaire. On arrive souvent même à la dissolution des instituions, rendant l’Etat incapable de mener à bien les fonctions gouvernementales.

Pouvez- vous nous éclairer d’avantage sur ce concept et nous présenter les caractéristiques d’un état effondré ? En d’autres termes, comment peut-on reconnaitre un Etat  effondré ?

Il n’y a pas de caractéristiques figées mais cela dépend soit des causes ou de l’origine de l’effondrement. D’abord le concept d’Etat : un Etat dans les sociétés démocratiques modernes  est l’institution politique dotée d’autorité qui exerce sa souveraineté sur un territoire reconnu. Il est constitué d’un pouvoir exécutif, d’un pouvoir législatif et d’un pouvoir judiciaire. Alors l’Etat en tant qu’autorité souveraine chargée de prendre des décisions, est le garant de la sécurité du territoire et de sa population. Pour le bon fonctionnement de la société, l’Etat central est doté de la capacité régulatrice, de la capacité extractive de la capacité distributive et de la capacité réactive. Ces quatre fonctions sont si étroitement imbriquées qu’il est difficile de s’en acquitter séparément : l’affaiblissement de l’une entraîne les autres dans sa ruine.

En ce qui concerne  les caractéristiques, nous pouvons répéter après les grands analystes politiques que, l’effondrement de l’Etat, d’une part est une rupture du bon gouvernement, de la loi et de l’ordre. Entité responsable de la prise des décisions, de leur application et de leur exécution. L’Etat n’est plus en mesure de décider, ni de faire respecter ses commandements. L’effondrement de la société, d’autre part, constitue une rupture totale de l’harmonie sociale : génératrice des institutions de cohésion et de maintien, elle ne sait plus créer, rassembler ni exprimer les soutiens et les demandes qui forment les fondements de l’Etat. Ce sont là deux  aspects de la décomposition ; à eux deux ils brisent les liens et les imbrications entre l’Etat et la société. L’échange normal de demandes et de réponses s’atrophie ; les processus politiques de légitimation populaire sont écartés ou détournés ; la vie politique et économique se rétrécit, se localise ; enfin, le centre de   décision du gouvernement étant paralysé et impuissant, il  s’éloigne des rouages de la société. On ne légifère plus, l’ordre n’est plus maintenu et la cohésion sociale se relâche.

L’organisation, la participation, la sécurité et la distribution des ressources tombent entre les mains de ceux qui se battent pour les avoirs. Les chefs de guerre et bandes armées, brandissant souvent le principe ethnique comme source d’identité et de commandement, en l’absence de tout le reste.

Voici dépeint de manière succincte l’Etat ou la Société effondré.

Mais, en plus des coups d’Etats,  existent-ils  d’autres causes de l’effondrement d’un  Etat en Afrique ?

Oui, il y’a des causes internes et des causes externes

Au niveau des causes internes, il faut noter les facteurs politiques, les facteurs socio culturelles et les facteurs économiques.

 Au compte des facteurs politiques, l’on peut relever  l’échec dans la réalisation  de l’intégration nationale, l’instabilité politique,  les guerres civiles et les crises postélectorales.

S’agissant des facteurs socioculturels, il faut mentionner la multiplicité ethnique et culturelle, l’ethnocentrisme exacerbé. La pauvreté et l’inégalité sociale, la faillite de l’éducation et de la santé etc.

Quand aux facteurs économiques, ils se résument  principalement à la crise de l’endettement, les dépenses militaires excessives, la corruption économique propagée dans le continent africain etc.

A propos des causes externes, elles  tournent autour de l’ingérence étrangère surtout au temps de la guerre froide.

L’Afrique a connu beaucoup de coup d’Etats ; mais est-ce que tous ces pays sont pourtant effondrés ?

Non justement. L’on peut dénombrer ceux qui ont été effondrés. Le phénomène  de l’effondrement de l’Etat a connu trois (03) vagues en Afrique.

La première vague s’est produite dans les vingt (20) premières années qui ont suivi l’indépendance. La première vague concerne L’Ouganda de Idi Amin Dada, le Ghana du Docteur Hilla Liman, le Tchad  de Gougouni Wedet et d’Hissen Habré.

La seconde vague déferla dix ans  après ; elle s’est prolongée dans les années 1990.

La deuxième vague tourne autour de la Somalie de Siad Barré, de la Mozambique du régime marxiste-léniniste de FRELIMO, du Liberia de Samuel Doé et Taylor et, de l’Ethiopie de Mengistu Hailé Marian. La troisième vague est intervenue à la suite des deux premières c’est-à-dire au delà des années 1990.  La troisième vague concerne  l’Angola, et la Côte d’Ivoire. En Angola, les rivalités entre le Nord et le Sud représentés respectivement par le MPLA et l’UNITA de Jonas Savimbi étaient considérées comme le motif suprême de l’irréductible inimitié des deux mouvements. En Côte  d’Ivoire, l’effondrement de l’Etat survint à la suite du  coup d’Etat de 1999 et la rébellion de 2002. Mais, il faut noter que l’Angola et la Côte d’Ivoire n’étaient pas complètement effondrés puis qu’il y avait un gouvernement légal qui gouvernait et une rébellion qui occupait une partie du territoire.

 

 

Pensez-vous  que la Gambie était sur le coup de s’effondrer ?

Bien sur !les signes ou les traits distinctifs de l’effondrement étaient en train de poindre à l’horizon. La preuve entre le 18 et le 20 janvier, qui gouvernait à Banjul ? Yahya Jammeh a perdu sa légitimité depuis le 18 janvier et auparavant a décrété 90 jours d’Etat d’urgence. Ce qui a occasionné des déplacés et des refugiés dans les pays limitrophes. Adama Barrow, le Président élu, lui-même s’est refugié au  Sénégal. Il n’a pas été investi sur le territoire gambien, même si   la cérémonie a eu lieu à l’Ambassade de la Gambie au Sénégal. Ici donc l’Etat en tant qu’organisation réelle reconnue de tous n’existe plus. L’état d’urgence décrété par Jammeh, pour ne pas dire ce régime totalitaire de 90 jours  ne servirait qu’à réprimer, voire massacrer les opposants le jour comme la nuit si la communauté internationale, comme d’habitude, adoptait une attitude attentiste ou indolente.

Pa rapport au cas de la Gambie que pouvez-vous conseiller aux Etats africains ?

Les dirigeants africains doivent savoir que l’Afrique attire les grandes puissances du fait de ses richesses en ressources énergétiques et pétrolières. Mais, son instabilité politique inquiète les bailleurs de fonds. J’en veux pour preuve  le Sommet USA –Afrique  organisé en 2014, le sommet Chine –Afrique en Afrique du Sud et  la France -Afrique  en janvier 2017   au Mali.

L’effondrement des Etats en Afrique peut toutefois être contré si la volonté des politiques s’y trouve. Pour se faire certaines conditions inhérentes à la démocratie et la bonne gouvernance doivent être réunies

Interview réalisée par Fanta Coulibaly de politikafrique. Info

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