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Interview / Fama Touré « Nous souhaitons que le Gouvernement nous implique dans la gestion des fonds mis en place »

Mis à jour le 18 avril 2020
Publié le 18/04/2020 à 2:25 , , ,

Une crise sanitaire aux conséquences économiques sans précédents. C’est ainsi qu’on pourrait qualifier l’impact du coronavirus sur le secteur privé en Côte d’Ivoire qui représente plus de 90% des entreprises dans le pays. Alors pour mieux faire connaitre l’étendue des dégâts et les actions initiées par le gouvernement ivoirien afin de faire face à cette crise, Fama Touré, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, a accordé une interview à la première chaîne ivoirienne, RTI.

Quelle est la situation économique de la Côte d’Ivoire suite à la pandémie de Coronavirus ?

La Côte d’Ivoire, à l’instar de tous les pays du monde, subit l’impact économique du COVID 19. Les prévisions de croissance du Gouvernement sont largement revues à la baisse avec des risques réels de récession si cette crise devait perdurer au-delà de 3 mois. Une perte de croissance au titre de l’année 2020 d’au moins 50% est annoncée par le Ministère de l’Économie et des Finances (7,2% à 3,6%) au cas où la crise prenait fin au mois de juin 2020.

En effet, plusieurs secteurs sont lourdement affectés et des pans entiers de l’économie sont à l’arrêt. Notamment l’hôtellerie et la restauration, les arts, le spectacle et l’événementiel, les transports, les services (éducation, santé, TIC, transfert d’argent, etc.), les BTP, la logistique et le Transit, les industries (brasserie, limonaderie, les activités portuaires, le commerce transfrontalier, les activités d’importation et d’exportation, le transport aérien et les activités associées et bien d’autres.

Quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les entreprises Ivoiriennes ?

Les enquêtes réalisées, les focus Groupe organisés, les visites terrains effectuées à Abidjan et à Grand-Bassam auprès des entreprises ressortissantes de la CCI-Côte d’Ivoire nous permettent de relever les difficultés des entreprises.

Sur le plan Général, le confinement et le couvre-feu impactent les fonctionnements de la quasi-totalité des entreprises. L’absence de visibilité sur les perspectives économiques, des plans de réduction des effectifs dans les entreprises, voire de libération du personnel avec ou sans solde pour les entreprises obligées de fermer, des pertes sèches de marchés, de chiffres d’affaires et d’exploitation du fait du ralentissement et de l’arrêt brutal des activités dans plusieurs secteurs tels que l’Hôtellerie, le tourisme et la restauration, le financement des mesures barrières par les entreprises non prévues au Budget, les fermetures des frontières et les restrictions en matière de déplacement ont un impact direct sur les approvisionnements en matière premières et en bien de consommation. Il y a aussi la hausse des prix des intrants pour le secteur industriel, surtout pour les matières premières de substitution aux importations et les difficultés de trésorerie et financières pour faire face aux charges d’exploitation.

A vous entendre on pourrait dire que cette pandémie a des conséquences à différents niveaux de la chaine de production. Qu’en est-il dans les détails ?

Oui en effet et je puis vous le confirmer. Sur le plan commercial, les livraisons (local/export) de produits finis sont fortement perturbées à cause des restrictions d’accès au niveau des frontières et au niveau d’Abidjan. Face à la limitation des déplacements et l’adoption du télétravail par nombre de nos clients, l’activité commerciale de l’entreprise à savoir le suivi clientèle et la prospection de nouveaux clients (local et export) se trouve considérablement impactée. Au niveau de l’approvisionnement, il faut noter l’absence de visibilité pour les passations de commandes pour les entreprises dont les principaux producteurs de matières premières sont localisés en Asie et dans le moyen orient. Toute chose qui oblige à s’approvisionner avec des fournisseurs locaux à des prix qui aujourd’hui ont connu une hausse par rapport au contexte international.

L’impact se fait aussi sentir sur le personnel des entreprises. Des plans sociaux sont en vigueur dans la plupart des entreprises (mise en congés forcé du personnel, chômages partiel, chômage techniques). Le taux d’absentéisme légèrement en hausse du fait de la peur ainsi que les rumeurs et également la perturbation dans les transports publics ou privées. Le nombre de retards dans la prise de poste est important. Des effectifs ont été réduits, les entreprises fonctionnent avec le système de 2 quarts au lieu de 3quart. L’atmosphère est devenue stressante et la tension se lit dans les regards et les attitudes. Et quand vous arrivez malgré tout cela, à vous rendre au travail vous devez faire face à la difficulté de se nourrir du fait de la fermeture des restaurants. Enfin sur les finances, les tensions de trésoreries s’accentuant avec des délais clients qui s’allongent obligeant les entreprises à faire recours au concours bancaire afin de régler les charges quotidiennes d’exploitation (Fortes pression des fournisseurs principaux : matières premières et intrants de production).

Quelles mesures le gouvernement a t’il prises pour tenter d’atténuer l’impact de la crise sur les entreprises ?

Le Gouvernement pour y faire face a pris plusieurs mesures d’atténuation de l’impact de la crise sur le secteur privé durement éprouvé. Elles sont d’ordre économique et social. Le montant 1700 milliards de FCFA permet aux entreprises de souffler selon certaines dispositions. 3 mois de suspension des contrôles fiscaux, 3 mois de report du paiement des taxes forfaitaires, 3 mois de différé du paiement des impôts, taxes, versements assimilés et charges sociales, IRC secteur tourisme et hôtellerie, les allègements fiscaux sur matériels et intrants dans la lutte contre covid-19, 25% de réduction sur la patente du transport, l’annulation des pénalités de retards commandes publiques et un délai de 2 semaines de délai de remboursement des crédits de TVA.

Il y a aussi le paiement de la dette intérieure des factures de moins de 100 millions (TPME), le réaménagement des pénalités de frais de magasinage portuaire, 250 milliards de FCFA secteur privé, 250 milliards FCFA filière anacarde, coton, hévéa, palmier à huile, cacao et café, 100 milliards de FCFA secteur informel, 100 milliards de FCFA de fonds de garantie, 50 milliards FCFA production vivrière, maraichère et fruitière. Sans oublier les mesures sociales notamment le décalage des délais de paiement des prochaines factures CIE / SODECI et 170 milliards de FCFA pour le fonds de solidarité dédié aux populations les plus vulnérables.

Autant de mesures prises pour aider les Ivoiriens à supporter l’impact du coronavirus sur leur quotidien, cependant les entreprises sont-elles satisfaites de ce plan de lutte contre la crise économique annoncé par le gouvernement ?

Les mesures annoncées par le Gouvernement comme nous l’avons déjà indiqué vont dans le bon sens, car prenant en compte environ 90% des préoccupations exprimées par les représentants du Secteur Privé (FIPME, CGE-CI, Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire) dans le cadre de la plateforme de dialogue mis en place par le Gouvernement. Et nous saluons le caractère inclusif et surtout la disponibilité du Gouvernement à être à l’écoute du Secteur Privé. Nous souhaitons que le Gouvernement accorde aux acteurs du secteur Privé toute sa place dans la mise en œuvre des mesures annoncées, en particulier dans la Gestion des fonds qui sont mis en place.

Le véritable défi est de pouvoir obtenir un impact réel de l’application de ces mesures sur les activités des entreprises durement éprouvées, sur les secteurs en grande difficulté ou totalement sinistrés comme l’hôtellerie, la restauration et le Tourisme. Et la visite que nous avons effectuée à Grand-Bassam le 10 avril dernier a été édifiante. Le secteur hôtelier de la ville de grand-Bassam a besoin d’un véritable plan Marshall à l’ivoirienne.

En résumé les opérateurs économiques sont globalement satisfaits mais il faut que la communication soit très claire sur les modalités d’application et que ces modalités soient adaptées à la situation réelle des entreprises à l’heure actuelle, afin qu’au final, l’on atteigne les objectifs de préservation de l’outil de production et de relance économique. A ce propos, nous souhaitons que l’on puisse avoir un dispositif de suivi de l’application de ces mesures, afin qu’au sortir de la crise, tout le monde sache ce qui a été fait. Même la BCEAO qui a annoncé des dispositifs d’appui au secteur des PME, autant que le secteur bancaire doit pouvoir informer la communauté nationale sur le nombre d’entreprises touchées.

Ces mesures seront-elles efficaces pour relancer l’activité économique lorsque l’on sortira de la crise du Coronavirus ?

Je peux dire que si chacun joue pleinement son rôle, l’État, les institutions représentatives de la vie économique et les entreprises elles-mêmes, alors oui, nous avons de bonnes chances de nous en sortir.  Mais je souhaite aller plus loin car nous avons tous foi que cette crise va passer. Il faudra que chaque acteur en tire les leçons pour l’après.

Que proposez-vous concrètement dans ce sens ?

 Afin d’éviter qu’une telle crise impacte de manière significative notre économie, il est important de travailler au désengorgement des villes et réduire la promiscuité dans le cadre de la mise en œuvre du concept de la ville durable, revoir le système d’approvisionnement des villes par la mise en place de plateformes logistiques dans les périphéries et utilisant fortement les TIC. Il faut renforcer le dispositif d’appui au secteur privé national et faire en sorte d’avoir des leviers économiques les moins extravertis possibles : Développement de l’épargne nationale et de l’investissement privé local, Création de fonds de prévention des risques pays en faveur du secteur privé. Avancer dans la mise en place des Champions nationaux.

La politique de transformation industrielle doit être accentuée par la production de biens et services adaptés au marché local qui reste encore large avec le développement de la classe moyenne. Les TIC étant devenus incontournables, l’État doit travailler à faire baisser les coûts d’internet pour les ménages et les entreprises.

Mais puisque nous sommes dans une crise sanitaire, le renforcement du système de santé national s’impose pour rassurer les populations. Nous devons changer le paradigme de soins à l’extérieur, mode très prisé pour les classes aisées, apporter un appui aux cliniques privées pour le renforcement de leur plateau technique, procéder à la défiscalisation temporaire pour favoriser l’acquisition de matériels de santé. Pour les entreprises, il faut former les PME à l’appropriation des TIC dans leur fonctionnement et leur Gestion (télétravail, vente en ligne, etc), Investir dans la recherche et développement, renforcer les capacités des dirigeants des entreprises et autres PME, pour faire face à ce type de crise, et à mieux structurer leurs entreprises, apporter un appui à la formalisation des acteurs du secteur informel, afin qu’ils soient identifiables et enfin, revoir le système d’implantation des entreprises en prenant en compte le télétravail qui s’est révélé assez efficace dans cette période de crise.

Éric Coulibaly

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