Analyses Prof Sery Bailly

Genou à terre / Par Prof SERY Bailly

Mis à jour le 3 décembre 2018
Publié le 03/10/2017 à 7:45

Du poing levé de John Carlos et Tommie Smith aux Jeux Olympiques de 1968 au présent genou à terre, que de chemin parcouru ! Des Panthères noires aux marcheurs de « Black Lives Matter », que de chemin parcouru ! De MLK, les deux genoux à terre, aux sportifs un genou à terre, que de chemin parcouru !

Que ce soit des pratiquants de foot américain qui aient initié ce mouvement est aussi parlant. Habitués à courir et à se bousculer les uns les autres, coutumiers de la force, même si celle-ci n’est pas brutale et dénuée de stratégie, voici de nouveaux chevaliers casqués et impliqués dans une partie sportivement et socialement engagée.

De Paul Robeson à Harry Belafonte, et du Satchmo au « rire Banania » à celui de « We shall overcome » (Nous vaincrons), de l’enfant prodige à l’homme Stevie Wonder qui met un genou à  terre, que de chemin parcouru ! Des corps lynchés qui pendent et balancent, ces « fruits étranges » dont nous parlait la divine Billie, au genou à terre, que de chemin parcouru !

Que devons-nous comprendre ? Que nous inspire ce genou à terre ? Pourquoi genou à terre, un geste si banal, peut-il incommoder des hommes puissants ? Que penser de cet autre moyen de combattre les meurtres gratuits et impunis qui se déroulent depuis des siècles et des siècles ?

C’est la force du faible qui n’est ni couché ni debout mais en mode dynamique de réplique. Ce faible est d’autant plus énervant qu’on pensait l’avoir écrasé. On croyait « avoir fini » avec lui, comme diraient les jeunes Ivoiriens.

Genou à terre est mi prière mi défi, statue mi gisant mi équestre ! Prière, religion et empathie. Crainte de Dieu et défi envers la répression ! Il est différent du poing levé qui est facile à bannir du monde olympique, olympien et non moins hypocrite. Il est embarrassant comme un zouglou menaçant parce que fatigué d’implorer Dieu ! Il fait peur comme le mort qui revient, non pas le revenu, mais le revenant ! Ni provocation ni aplatissement !

Appel à la miséricorde qui tente d’attendrir un monde de pierre et de béton. Atteint mais non abattu, crocheté mais non étalé ! Vous vous souvenez du Sénateur Tim Kaine, le colistier de Clinton ? Il avait dit, en résumant en termes sportifs, «  Ils nous ont mis au tapis mais pas KO ». En effet, nous connaissons cette image de boxeur à genou et compté mais qui ne désespère pas de l’emporter. Etre compté sur le ring mais compter dans l’histoire qui se déroule !
Forme de résistance et de résilience, genou à terre n’est pas génuflexion. Il s’agit d’assumer sa fragilité, d’affirmer son refus et de convoquer sa volonté de plier sans rompre. L’objectif est de prolonger l’appel de Londres : la bataille est perdue mais la guerre pas encore gagnée.

Genou à terre est d’une ambivalence riche et positive: proclamation et silence, faiblesse et force, demande et appel, prière et intimation, invitation et convocation, sommation et sollicitation, supplique et requête, soumission et conjuration, avertissement et respect, immobilité et mouvement, rêve et cauchemar.

On s’abaisse mais on refuse d’abdiquer. On se prépare plutôt à se relever et défier les puissants et les forces camouflées qui infligent partout douleur et souffrance. Comme dans le code de la chevalerie, il y a foi et fermeté, combat et retenue, l’épée et la croix, le sabre et le croissant, la soumission à Dieu et l’engagement pour une cause humaine, la ruse de la stratégie et  la fidélité à ses valeurs.

Tout le monde n’a pas le même type de cheveux et donc tout le monde ne peut faire un afro de protestation. Mais nous disposons, tous et chacun, de deux genoux dont nous pouvons mettre un à terre. L’objectif est de poser le genou pour s’opposer à ceux qui veulent nous terrasser, nous étaler de toute notre longueur. Comme on est passé de « Black Power » à « Black President », de l’impuissance noire à une présidence noire, il fallait le payer chèrement. Mettre un genou à terre, c’est faire acte de contrition historique et espérer enrayer la régression.

Le poseur de genou à terre est têtu comme celui qui est couché et dit qu’il ne peut tomber, couché mais pas prêt à être roulé et jeté dans une tombe. Peut-être mort, mais pas prêt à être enterré ! D’accord pour gagner le ciel mais d’abord le paradis terrestre !

C’est un signe de ralliement, une dénonciation silencieuse des agresseurs impénitents qui, comme tous les sorciers, ont peur de la lumière. Renaissance de la lutte non violente de MLK, le genou à terre est différent de l’arrogance qui serait facile à disqualifier moralement et à briser physiquement.

Un genou à terre rappelle la moitié vide du verre de coca-cola à ceux qui célèbrent la grande Amérique, « great again » (grande de nouveau) et « great always » (grande toujours) étant les deux faces d’une même médaille.

Trump est fâché parce qu’on ne lui fait pas confiance les yeux fermés, parce que genou à terre est opposé à son projet d’Amérique arrogante, les pieds sur la table. Il fulmine parce que des gens refusent de lui confier leur salut, de le croire aveuglement lui le nouveau Messie. Il est en colère à cause de cet appel à la conscience universelle alors qu’il incarne la vertu américaine. Le nouveau père fondateur se retrouve face à de nouveaux christiques enfants de « cœur ».

Trump voudrait que la foudre qui a frappé Carlos et Smith s’abatte aussi sur les pratiquants du genou à terre. En plus de l’exclusion du mouvement olympique, ils ont perdu leurs emplois et leurs foyers se sont brisés, par le divorce et par le suicide. En les détruisant comme star, ils en ont fait des parias. Trump aurait voulu ressusciter Avery Brundage, ancien patron du CIO, afin qu’ils mènent leur combat commun.

Les vainqueurs de l’histoire souhaitent la fin de l’histoire, comme une équipe qui mène au score. Mais les menés au score et même les vaincus montrent toujours que le match ou le championnat n’est pas terminé. L’arbitre céleste n’a pas encore sifflé la fin !

Genou à terre, chez nous, devant les enfants en difficulté avec la loi ? Périphrase qui essouffle déjà ! Ils en profiteront pour achever leurs victimes et parachever leur œuvre ! Cela suppose en effet un minimum de sensibilité ! Ni les enfants ni le grand blond n’ont la sensibilité requise. Ne mettent aussi un genou à terre que ceux sont déjà debout.

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