Côte d’Ivoire

Exclusif/ Sipilou-  Un port sec pour la fuite du cacao vers la Guinée, les juteuses complicités ivoiriennes dénoncées

Mis à jour le 6 décembre 2018
Publié le 06/12/2018 à 9:12 , ,

Le département de sipilou est réputé pour être au cœur de la fuite des produits de rente que sont le café et le cacao. Un mois et demi après le lancement de la campagne cacaoyère 2018-2019, PoleAfrique.info a séjourné dans le département, précisément à Glanlé, village situé à une dizaine de Km Sipilou et une quinzaine de la Guinée voisine. 

Un véritable port sec servant à la fuite du cacao et du café.

Le lundi 26 novembre dernier, nous sommes à la gare de Sipilou à Man, capitale de la région du Tonkpi. Il est 11 h 16 minutes quand le véhicule de type Vario chargé de marchandises diverses, prend avec nous la route de Glanlé. Un voyage périlleux, vu l’état de dégradation de la route Biankouma- Glanlé, long de près de 100 kilomètres. 18 heures 25 minutes et nous voici à Glanlé.  Nous aurons passé 7 heures de route, jalonnées de souffrance et de peur avant d’atteindre ce village, caché dans une cuvette avec ses plus de mille habitants. 

A l’entrée du village, une colline à gravir dont le sommet montre fièrement Glanlé, dans un creux entouré de bas-fond. 

 
Nous prenons notre quartier à l’autre bout du village après avoir traversé le marché, où notre regard est attiré par un magasin d’achat de café et de cacao. 

Notre tuteur, venu à notre rencontre met le pied dans le plat.

« Vous voyez ce magasin avec ces dizaines de motos ? C’est le magasin qui sert à stocker tous les produits achetés ici pour être acheminé en Guinée », confie-t-il.

Glanlé regorge de très grandes plantations de café et de cacao. Mais toute la production qui doit servir à renflouer les caisses de l’État est bradée au pays d’Alpha Condé.  

Comment ces fossoyeurs de l’économie ivoirienne travaillent-ils? Qui sont leurs complices à l’échelle nationale?

« Dans ce village, nous faisons tout pour mettre une coopérative en place, mais malheureusement, le chef du village et certains sages du village prennent l’argent avec des acheteurs guinéens pour acheter notre cacao. En plus de cela, des individus viennent payer ici sans aucune autorisation », explique un jeune du village.

Le mardi matin, nous sortons faire un tour dans le village pour nous imprégner réellement des réalités. 

Un tour devant le magasin appartenant à la société coopérative simplifiée Sébé Allah Hé (SCOOP-SE BE ALLAH Hé). Une autre source rencontrée soutient que « ce magasin appartient à des acheteurs guinéens.  Le cacao est collecté dans les campements et stocké ici. Les nuits une soixantaine voire même une centaine de motos vient pour procéder à l’enlèvement de ces produits en direction de la Guinée.  Tout se passe au vu et au su de tous. Le bureau de la jeunesse, celui de la chefferie et même les hommes en armes à la frontière sont au courant du business. Ils mangent tous dans cette affaire » assure-t-elle.

Les jours de marché, des guinéennes, cuvette sur la tête, boîtes de tomates vides en main, se promènent de concession en concession à la recherche de fève de cacao. Des jeunes également, bascule romaine dans des sacs s’adonnent à cette pratique. « C’est de cette manière que notre cacao est acheté dans ce village. Les gens s’enrichissent sur notre dos et cela avec la complicité meurtrière de nos autorités à tous les niveaux », se désole notre source. 

Que gagne chaque partie?

Selon notre source, un quota est destiné à tous ceux qui aident à la traversée du cacao.  « Sur un sac de cacao qui sort, le bureau de la jeunesse a 100f par sac. La chefferie du village de Glanlé et la chefferie cantonale ont aussi leur part estimée à 200f par chefferie. Le corps préfectoral n’est pas en reste. Il a un pourcentage considérable. Les douaniers et tous les corps habillés qui interviennent ici mangent dans ça. Les agents du conseil du café et cacao sont au courant et ne font rien. Nous apprenons qu’ils reçoivent aussi leur part. C’est un business très juteux pour eux », apprend-on.

Du village au poste frontalier, il faut parcourir une quinzaine de kilomètres. Cette piste, la nuit tombée est un boulevard pour les motocyclistes de la Guinée. Chargés de sac de cacao, ils se faufilent dans la broussaille. C’est dans un véritable ballet de motos avec des vrombissements assourdissants  que le mardi 27 novembre nuit aux alentours de 19 heures nous croisons un groupe d’individus. « Ce sont eux qui sont commis au ramassage des produits. Souvent, ils viennent par centaine et vident le magasin », révèle notre source.

Glanlé est un gros village en plein essor économique avec pour seul bémol le problème de réseau téléphonique. Avoir le réseau téléphonique à Glanlé relève d’un parcours de combattant. Il faut des endroits spécifiques pour avoir accès au reste du monde. Dans notre quête du réseau, nous sommes conduits au groupe scolaire à l’entrée du village. 

Une dizaine de personnes est présente. Certaines plus chanceuses sont en communication, quand les moins chanceux, le téléphone cellulaire en main cherchent le réseau. Nous sommes attirés par la conversation d’un agent des douanes ivoiriennes en communication.

« Chef, au poste nous avons un colis qui est venu depuis hier nuit et les gens refusent de payer ce que nous demandons. Moi je ne libérerai jamais ces sacs sans l’argent. Ils se foutent de nous ces gens. En tout cas, sans l’argent, ces sacs ne bougeront pas », pouvait-on entendre de la conversation du douanier. Après avoir écouté religieusement son interlocuteur au bout du fil, qui semblait être son supérieur hiérarchique et d’avis avec lui, il prit la route du poste. Avant son départ, nous essayons de l’approcher mais notre guide, nous en dissuade.

« Ici c’est une jungle. C’est la loi du plus fort. Ces acheteurs véreux et leurs complices, sont capables de tout. Ils sont tous armés et sont prêts à descendre tous ceux qui se mettraient au travers de leur chemin. Vous venez de vivre en direct les réalités. Ne dites rien à quiconque » recommande-t-il. 

Une situation que refuse de vivre certains habitants. « Nous savons tous que c’est en fonction de la production de chaque région que des projets sont affectés pour amoindrir les souffrances des populations. Ici tout va en Guinée. Il va s’en dire que nous ne participons pas à la vie économique de notre pays. Notre centre de santé est dépourvu d’ambulance. Nous n’avons même pas une maternité avec cette population qui croit de jour en jour. Quand il y a des cas graves, c’est sur des motos que nous transportons ceux-ci. Nous assistons impunément à des décès de femmes enceintes régulièrement. Nous sommes vraiment impuissants face à cette infernale machine », se plaint un jeune homme, habitant du village.

Pour certains jeunes, cette situation est favorisée par la dégradation très avancée des pistes villageoises. « Les gens se plaignent que le cacao ivoirien est vendu en Guinée. Savent-ils ce que nous endurons sur nos pistes ? Comment faire pour amener nos productions vers Man et ensuite au port soit de San-Pedro ou d’Abidjan? Nous sommes obligés de vendre aux guinéens », soutient un cinquantenaire qui lui aussi a requis l’anonymat.

Face à cette situation Poleafrique.info a souhaité avoir la réaction des autorités locales. Joint au téléphone le sous-préfet de Sipilou informé de la situation, dit compter sur les forces de l’ordre pour arrêter le trafic.

« On sait qu’il y avait trafic mais nous avons combattu cela. Et c’est d’ailleurs ce que nous n’avons cessé de dire au nouveau préfet qui vient d’arriver. Vous savez ce sont les forces de l’ordre qui doivent nous aider à combattre ce phénomène puisque tout se passe la nuit. Comment pouvons-nous savoir que ces pratiques continuent ? C’est bien dommage. Il faut des actions concertées. Mais vu la manière dont les choses se passent c’est compliqué » avoue-t-il, impuissant.

En attendant de mettre un terme à cette pratique qui met en péril notre économie, le « port sec » de Glanlé continue de ravitailler la Guinée en produits ivoiriens.

Olivier Dan, Correspondant Ouest (Envoyé spécial)

Poleafrique.info

7info.ci_logo

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter 7info

L’INFO, VU DE CÔTE D’IVOIRE