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Enquête, Législatives 2016, Plus d’un an après, les candidates recalées des partis politiques parlent.

Mis à jour le 5 novembre 2018
Publié le 08/02/2018 à 4:41

Des aspirantes à la candidature n’ont pas été retenues par leur parti politique pour les législatives  de décembre 2016. Le Groupe des Organisations Féminines pour l’Egalité Homme-Femme (Gofehf) en Côte d’Ivoire, a  dénoncé un « recul démocratique » à cette époque. Plus d’un an après, les  recalées brisent le silence et relancent le débat de la prise d’une loi sur la parité en politique. 

Le 22 novembre 2016, elle est soutenue à l’applaudimètre par ses paires à Abidjan-Plateau. Non retenue sur la liste officielle des candidats de son parti aux législatives ivoiriennes à cette période, Dié Bonao Céline, prend le contrepied. « Je ne vais pas sacrifier ma vie politique sous l’autel de la discipline. Je suis candidate indépendante à Duékoué commune dans l’ouest ivoirien », déclare alors la première  présidente des femmes de l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) à sa création en 2000. Elle finit par perdre l’élection dans sa localité.

Plus d’un an après, quelle est son actualité politique ? 

« Je suis là. Je vais bien. Je poursuis mes activités politiques et sociétales. Je suis le plus intéressée par les législatives que les municipales car mon  souhait est de voir plus de femmes à l’hémicycle. Je veux être députée pour améliorer les conditions de vie des femmes. J’ai perdu aux élections en tant que candidate indépendante car à l’époque je n’avais pas eu la caution de mon parti mais il y a une autre façon de se battre en dehors de l’hémicycle, donc je peux vous assurer que le combat continue », répond la militante politique, interrogée par pôleafrique.info courant janvier 2018. 

En ce moment, elle plaide pour une loi sur la parité en politique.  « Mais déjà j’encourage les femmes à militer en politique et à postuler aux élections. Il ne faut pas se décourager », galvanise Dié Bonao Céline. Pour elle, l’épanouissement de la femme, c’est aussi l’autonomisation. C’est pourquoi elle continue à organiser les femmes au niveau du vivrier. Après la mésaventure aux législatives, elle est tout de même désignée parmi les femmes leaders du Guemon par  la représentation locale du ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant. « C’est dire combien mon engagement sur le terrain est reconnu », se félicite-t-elle. 

Si Mme Dié Bonao et bien d’autres femmes n’ont pas battu leurs adversaires, certaines résistantes ont obtenu gain de cause. Tel est le cas à Tiassalé-Morokro à 120 km d’Abidjan. Dans cette circonscription administrative,  Marie Noëlle Boni Epse Epkonon, tient tête aux législatives 2016 à son parti politique, le Rassemblement Des Républicains (RDR). 

Candidate indépendante, Marie Noëlle Boni Epse Epkonon bat à plate couture ses adversaires de gros calibre. « Je savais que je voulais être candidate. J’ai commencé le travail de proximité des années avant les législatives. Quand il y a un décès dans une famille, vu que je n’ai pas d’argent, j’apporte ma compassion par la présence physique. J’aide la famille à cuisiner pendant les funérailles », explique-t-elle au cours d’un débat sur le genre à l’institut français, courant 2017.

Un an après, la désormais honorable Epkonon se souvient des difficultés surmontées.

« On me reprochait le bas niveau d’études  et l’insuffisance des moyens financiers par rapport aux autres candidats. La position de mon époux dans l’administration (Préfet), les critiques et autres calomnies concernant mon militantisme au RDR  ont constitué de véritables difficultés voire des menaces à ma candidature » revèle-t-elle.

En effet, le parcours  de la députée de Tiassalé parait atypique à une certaine opinion. Elle n’a pas franchi le cap des cours préparatoires à l’école primaire. Ce qui ne l’empêche pas de rêver grand.

Depuis son sacre aux législatives de 2016, dans les milieux féminins, elle est présentée comme un exemple de bonne pratique. Son conseil aux femmes: « Elles doivent oser sans peur des menaces des violences.  Elles doivent être déterminées, avoir une vision et s’assumer entièrement ».

Comme Marie Noëlle Boni Epse Epkonon, l’Assemblée Nationale compte des députées « rebelles ». Entendez par là, celles qui n’ont pas suivi le mot d’ordre de leur formation politique. 

Au fait, le décompte après la publication des différentes listes des candidat(e)s aux législatives 2016  par les partis et groupements politiques du RHDP et du FPI donne un pourcentage global de 12% de femmes candidates, titulaires et suppléantes inclues. Le  RDR présente 18 femmes sur 135 candidats soit 13,33%, le  PDCI : 11 femmes sur 102 soit 10,78% le FPI : 22 femmes sur 180 soit 12,22% et l’UDPCI : 0 femme sur 37 candidats. 

Parité en politique, les pressions s’accentuent 

Brigitte Gbadi, experte en genre, a, quant à elle,  mené des recherches sur les violences faites aux femmes en politique.  Elle estime que, « S’il est prouvé que la candidature est rejetée parce qu’elle est d’une femme, cela est considéré comme un cas de violence faites aux femmes en politique ». Que peuvent en être les conséquences ? Mme Gbadi répond que les femmes sont les plus grandes militantes. Leur mécontentement peut faire chuter le taux de participation à une élection. « Si elles se sentent rejetées à cause de leur genre, les femmes peuvent ne pas mener de campagne, elles peuvent se désintéresser au jeu électoral » 

L’experte en genre est optimiste. « Les femmes sont de plus en plus tenaces. Elles bravent les menaces. Il faut les encourager à aller jusqu’au bout de leur candidature malgré l’environnement violent ». D’environnement violent, Brigitte Gbadi, affirme faire allusion aux menaces de pertes de postes dans l’administration. 

C’est pourquoi, elle invite la société civile à ne pas baisser les bras dans l’accompagnement des femmes politiques en Côte d’Ivoire.

La sous-représentativité des femmes en politique est dénoncée par les ONG dans le pays, comme le Groupe des Organisations Féminines pour l’Egalité Homme-Femme (Gofehf).  Sous la  pression d’organisations de la société civile, la ministre ivoirienne de la Famille, de la Femme et de l’Enfant Mariatou Koné,  promet une loi en faveur de la parité en politique.

Selon les informations reçues, l’avant-projet de loi sur la parité en politique , prévu pour l’aspect nominatif et électif, s’est finalement focalisé sur l’électif. « La parité tient compte du mode électoral. Si l’élection est uninominale, le projet tel que formulé pour l’heure, devient impuissant. Par contre, il est efficace pour les collectivités locales, soit les mairies et les conseils régionaux.  Aux législatives, le jeu des indépendants peut être un frein à cette loi si elle est proposée et adoptée en l’état. Si on oblige les partis politiques à présenter une liste sur la base du genre, le même parti peut présenter un autre candidat en indépendant », commente une source qui a suivi les premiers débats autour de l’avant-projet en gestation. 

Déçues après la publication des listes de candidats par les partis politiques aux législatives de 2016, des femmes répondaient à l’appel du Gofehf au Plateau.(ph: DR)

Réactions de partis politiques 

 Comment le Rassemblement Des Républicains (RDR), principal parti au pouvoir en Côte d’Ivoire accueille-t-il une éventuelle  loi sur la parité en politique? Comment le parti prépare-t-il ses femmes aux élections locales annoncées pour 2018? Nous n’aurons pas de réponses à ces questions. Contacté par mail le 24 janvier 2018, l’assistante du porte-parole du RDR Mamadou Touré, par ailleurs secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle a répondu par un silence bruyant. Contacté par téléphone trois jours après, elle accuse réception du mail. L’assistante signale que le porte-parole ne juge pas « pertinentes » ces questions pour l’heure.  « Il ne juge pas pertinent de répondre maintenant. Il pourra répondre dans deux mois. Il estime que la question n’est pas d’actualité », fait-elle savoir.

Comme quoi, parler du genre ne semble pas urgent pour Mamadou Touré. Un paradoxe pour un parti politique dont les deux premiers responsables sont des femmes, la présidente et la secrétaire générale. A moins que l’on ne se satisfait pas dans ce parti de la promotion des femmes ! 

A l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), l’on est plus ouvert sur le sujet. « Nous sommes favorables à la volonté politique affichée pour une loi sur la parité. Mais cela ne peut se faire sans la volonté des femmes elles-mêmes. La discrimination positive en faveur des femmes est difficile en politique. Il faut que les femmes se battent car la politique est une vocation », estime Deli Mamadou, secrétaire général adjoint de l’UDPCI. Revenant sur la déconvenue des législatives de 2016, élection pendant laquelle la société civile féminine a tiré à boulets rouges sur l’UDPCI pour avoir présenté zéro candidate, Deli Mamadou estime que « c’est une méprise ». « L’UDPCI peut s’enorgueillir de faire la promotion des femmes.  Pour la question des législatives, les candidatures ne sont pas suscitées. Il faut un travail préalable avec ceux qui ont la volonté. Travailler à encourager et créer les conditions. L’UDPCI a 5 maires dont deux femmes. Pour les élections locales à venir nous attendons les candidatures des femmes. Les partis politiques et la société civile doivent travailler dans ce sens », suggère-t-il. 

En tous cas, le Président Alassane Ouattara insiste. Il est attaché à la parité dans tous les domaines de la République. Présentant ses vœux du nouvel an à la presse le 25 janvier 2018, il  réitère sa volonté politique. « Chaque fois qu’il y a des nominations au gouvernement, chaque fois que je vois les listes envoyées par les ministres, je demande qu’on ait des noms de femmes dans les propositions qui me sont faites. Notre pays a besoin de faire des efforts. Les progrès  réalisés ici sont exceptionnels selon les Nations Unies mais cela n’est pas encore assez », réagit le président ivoirien. 

La participation politique de la femme est un enjeu de démocratie. La Côte d’Ivoire ne fait pas partie des 9 pays africains listés parmi les 30 qui respectent la parité dans leurs parlements. La représentativité féminine à l’Assemblée nationale est estimée à 11,37%. Les récentes élections législatives ont fait ressortir le manque de soutien des partis politiques aux femmes leaders de leurs partis. Il est encore temps pour  rectifier le tir à la veille des élections municipales, régionales et sénatoriales annoncées pour courant 2018.

Nesmon De Laure

Source : rédaction Pôleafrique.info


Rachel Gogoua, présidente du Groupe des Organisations Féminines pour l’Egalité Homme-Femme (Gofehf) tient aux droits des femmes en politique. (ph: DR)

Interview/ Rachel Gogoua,  présidente du  Groupe des Organisations Féminines pour l’Egalité Homme-Femme (Gofehf) : « le potentiel humain réside en l’homme et la femme »

Combien de femmes politiques aviez-vous formé pour participer aux législatives de 2016 ?

Nous avions formé 143 femmes pour les législatives, tout parti politique confondu. Certaines n’ont pas été retenues par leur parti mais ont participé aux législatives. Certaines ont été élues et d’autres pas.

Certaines femmes n’ont pas suivi leur parti politique. Comment combiner concrètement discipline de parti et candidature féminine aux élections locales?

 Nous insistons pour  le vote dans les brefs délais de la loi sur l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives et la prise de son décret d’application. Nous souhaitons aussi   l’instauration et le maintien   d’un dialogue responsable de sensibilisation en faveur des femmes politiques avec leurs partis politiques.

Nous rappelons aux partis politiques que le potentiel humain réside en l’homme et la femme. Quand ils choisissent des hommes, il faut qu’ils choisissent des femmes aussi. Ce sont tous des enfants de la Côte d’Ivoire. Qu’ils positionnent de nombreuses femmes cette fois-ci. Nous encourageons les femmes à postuler massivement.

A l’époque, vous aviez  décrié « un recul démocratique » après le constat de la faible participation des femmes en qualité de candidates de partis politiques. Que comptez-vous faire à présent ?

Nous entendons poursuivre l’accompagnement  des prétendantes aux postes électifs à travers les formations.  Les plaidoyers continuent. Nous envoyons des courriers aux partis politiques pour leur demander de maintenir les candidatures féminines.

Propos recueillis par Nesmon De Laure

Source:Pôleafrique.info

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