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Dossier / Droit à une nationalité, quand l’apatridie gâche la vie des enfants

Mis à jour le 27 mai 2018
Publié le 13/02/2018 à 4:36
Plusieurs causes conduisent  à l’apatridie chez les enfants en Côte d’Ivoire avec des conséquences fâcheuses. Des reformes importantes sont à mener, loin des passions politiques, pour rectifier le tir.
 
C’est l’histoire  de sœurs jumelles dont l’âge est estimé à  peine 10 ans. L’une vit à Yopougon et l’autre à la Riviera, deux communes d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Selon AD, l’un des proches de la famille, les mômes ont dû abandonner l’école, faute de documents d’identité. « Elles sont nées en Côte d’Ivoire mais elles n’ont pas d’extrait d’acte de naissance ». En plus de ne pas posséder ce document, les jumelles rencontrent des difficultés pour entrer en possession d’une pièce de l’un des parents. « Les filles n’ont pas été reconnues par leur géniteur. Elles sont à la charge de leur mère. Mais la maman n’a pas une pièce d’identité. L’une des jumelles vit chez nous. Et l’autre chez une grand-mère. Nous avons besoin des pièces de celle qui vit chez nous pour la scolariser. Elle n’a pas pu, tout comme sa sœur, poursuivre les études pour cette raison », confie AD. Déscolarisée, la protégée de notre témoin s’occupe de petites  tâches ménagères à la maison.
 
Si elles grandissent en l’état, nos jumelles ne pourront pas s’établir un certificat de nationalité. Elles ne pourront pas avoir une carte d’identité. Elles ne pourront postuler à aucun concours administratif. Elles n’auront aucune existence juridique, elles n’existeront pas.
 
Elles seront alors en situation d’apatridie. Dans le système ivoirien, la nationalité s’acquiert par le droit du sang. Au regard de la loi, en plus du manque de l’extrait d’acte de naissance,  lorsque l’enfant ne peut  présenter la preuve de la filiation, il est apatride.
 
Kahi David est le responsable de l’ONG Organisation pour la Réduction de l’Apatridie (ORA).  Spécialisée sur les cas d’apatridie et de risques d’apatridie, l’organisation s’intéresse à toutes les tranches d’âges avec  un accent particulier sur les enfants de plus de 3 mois à 15 ans. « Nous avons en ce moment 37 cas à risque d’apatridie en cours de traitement sur plus d’une centaine de cas identifiés. S’il arrive que le  parent n’a pas de document, ORA l’assiste également.», précise le président,  interrogé par pôleafrique.info le 9 février 2018. Pour la précision, l’absence d’extrait d’acte de naissance ou de jugement supplétif seule n’emmène pas à conclure à un cas d’apatridie. Les experts parlent de risque d’apatridie. Pour plonger dans l’apatridie, il faut qu’à cela s’ajoute la difficulté de prouver la filiation comme dans le cas des jumelles.
 
Notre interlocuteur indique qu’ « à  défaut de fonds pour prendre en compte le financement des procédures pour toutes les cibles identifiées,  ORA fait du référencement auprès du SAARA  ( Service d’Aide et d’Assistance aux Réfugiés et Apatrides) et du ministère de la Justice en faisant le suivi». Le président de l’ONG qui se dit marqué par la situation de Ferkessédougou, dans le Nord ivoirien, note une prépondérance du phénomène  en zone rurale. Selon lui, les situations prises en charge par son ONG en ce moment concernent « La non déclaration à l’état civil due à l’ignorance des populations et  l’impact de la crise socio-politique.»
A côté des raisons précitées,  le HCR énumère, entre autres, la désinformation et les pratiques administratives comme susceptibles de conduire à l’apatridie.
 
Les conséquences sont  fâcheuses. « Nous notons très souvent des difficultés pour passer les examens de fin d’année chez les enfants.  Il y a également le risque d’exploitation des enfants sans papiers », regrette le travailleur social.
 
En Côte d’Ivoire, on estime à 3 millions le nombre d’enfants en situation d’apatridie. Les spécialistes précisent que le plus grand lot se retrouve au niveau des pouponnières. Selon la loi, les enfants trouvés de parents inconnus, ne peuvent prétendre à la nationalité, même s’ils ont la possibilité d’être déclarés à l’état civil.
 
Toutefois, des initiatives étatiques existent pour réduire l’apatridie en général. Pour ce qui est des enfants,  en 2017, par exemple, 589 extraits de naissance d’enfants rapatriés nées au Libéria ont pu être délivrés par le biais du SAARA et sont en cours de distribution. C’est ce qu’indique Djè Lou Marthe, assistante juridique en charge de l’apatridie au SAARA.
La Côte d’Ivoire est, par ailleurs, signataire de textes  internationaux pour les droits des enfants, dont le droit à une nationalité pour les enfants se trouvant sur son sol.
 
L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés préconise comme réponses prioritaires, entre autres, une sensibilisation accrue à la déclaration des naissances. Une réforme du code de la nationalité est suggérée pour  la prise en compte des enfants trouvés.
 
L’ONG ORA, de son côté, espère également plus. Son président plaide pour une réforme de la loi sur la nationalité. Il mène également un plaidoyer pour une réduction du coût du jugement supplétif. Son cri sera-t-il entendu dans le contexte ivoirien, où évoquer  la nationalité est source de polémique politique ? Pour le respect de la dignité humaine, un débat national est nécessaire,  à froid, sur le sujet.
Nesmon De Laure
Source: rédaction Pôleafrique.info
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