Défense

Défense, la Général de brigade Akissi Kouamé est décédée

Mis à jour le 30 septembre 2022
Publié le 30/09/2022 à 9:43 , , ,

« Je me définis comme une personne timide qui souffle le chaud et le froid », avait confié le général de brigade, Akissi Kouamé à 7info. C’était en mai 2019 dans le cadre de la réalisation de son portrait . La première femme général de Côte d’Ivoire, cheffe du service de santé des armées n’est plus depuis le jeudi 29 septembre 2022.

La rédaction de 7info rend hommage à cette femme au parcours singulier à travers la rediffusion de ce portrait.

Sur ses épaulettes brillent deux étoiles. Celles des officiers-généraux de l’armée ivoirienne. Elle, c’est le Général Akissi Kouamé. Une femme forte qui aime lire la surprise dans les yeux de ceux qu’elle croise quand ils se posent sur ses galons.

Car dans une institution habituellement misogyne, et dans une société traditionaliste où la place de la femme est encore souvent réduite à sa plus simple expression, intégrer le cercle très fermé des hommes de commandement est, pour une femme, une rareté.

Mieux, une prouesse. Car madame le Général est la seule femme à avoir accédé à ce prestigieux grade.

Au ministère de la Défense sur  son bureau, deux ordinateurs mangent l’espace. En majesté, le portrait du Chef suprême des Armées, le Président Alassane Ouattara. Pas de sentimentalisme chez cette femme sensible. La République et ses valeurs d’abord. Ici, c’est le couple Houphouet, là, elle pose aux côtés du Président  Alassane Ouattara.

Sa voix est douce, mais ses yeux se plantent fermement dans les votres. « Jai été éduquée de façon très stricte par mon père et ma mère. Ensuite, les religieuses qui fouillaient toujours », révèle-t-elle.

Sur le guéridon, un livre au titre évocateur d’un de ses centres d’intérêt : «  la Bible, le Coran et la Science ». De l’autre coté, sur la table à manger, à côté d’une pile de documents, trônent sa casquette noire avec tous les attributs dus à son rang.

Le Général Akissi kouamé est médecin militaire. Obstétricienne, elle dirige le service de santé des armées de Côte d’Ivoire. Pour se frayer un passage et s’imposer dans ce milieu d’hommes, il faut du caractère.

Elle le démontre dès le début de l’entretien. C’est Madame le Général qui pose les questions. L’équipe de politikafrique.info joue le jeu de l’interview inversée pour un moment. Puis d’un coup,  « Ok. On peut commencer » lance-t-elle avec un petit sourire.

Son histoire est celle d’une jeune fille de Singrobo dans la région de Tiassalé ou elle voit le jour en 1955. Elle y commence l’école  primaire puis le continue à Agnibilékrou chez « les bonnes sœurs ». Elle n’en garde pas un souvenir impérissable. Bonne élève, elle est orientée au lycée d’excellence Sainte-Marie et enfin, choisit la faculté de médecine à l’université de Cocody.

Akissi Kouamé ou « Moh Kissi » en langue baoulé, est issue d’une famille de dix enfants dont trois sont encore vivants.  Elle grandit dans une parfaite harmonie familiale. Seuls les quatre derniers enfants ont eu la chance d’aller à l’école.

Elle en fait partie. Son entrée dans l’armée, se fait « par pur « hasard », dit-elle, même si elle n’aime pas l’expression.

« J’étais en 5ème  année de médecine  lorsque le gouvernement a décidé de recruter des femmes officiers médecins dans l’armée. J’ai déposé mes dossiers et puis j’ai été retenue. Et comme il n y a pas de hasard chez Dieu… « 

Elle précise qu’elles étaient cinq femmes à intégrer l’armée à cette période en tant qu’officiers sous le regard étonné des officiers masculins.

« Ils pensaient que c’étaient de nouvelles proies à marier et à mettre dans leurs foyers. C’était mal nous connaitre. On n’était pas venues pour ça »  plaisante-t-elle.

Le Général se définit comme une personne « très timide », « je souffle le chaud et le froid ».  En tant que maman, elle est  « beaucoup sévère », c’est elle qui le dit. Elle précise qu’elle déteste le mensonge, « je n’aime pas ce que Dieu n’aime pas » soutient-elle.

Dans son environnement professionnel, on la décrit comme une personne calme et patiente. Mais pas à tous les coups. Son chauffeur : « Souvent c’est nous même qui la mettons en colère. Quand elle nous dit de venir à 6h parce qu’elle a un rendez-vous, et qu’on vient à 7h. Dans ce cas, elle se fâche. Quand tu conduis et que tu la regardes dans le rétroviseur derrière, tu sais que ce jour là tu dois faire attention. »

Un autre collaborateur, « quand le boulot est mal fait, elle se fâche mais ses colères n’ont jamais duré, c’est juste une fraction de seconde » confie-t-il. Il ne la trouve pas «difficile ». Plutôt  « militaire, rigoureuse ». Mais aussi « maternelle ». Il ajoute que le Général est une personne agréable avec qui collaborer.

«  Elle n’est effrayée par rien. Il n’y a rien de grave avec elle, la situation est toujours sous contrôle » assure-t-il. Ses collaborateurs la surnomment « TGV », comme le Train a Grande Vitesse, parce qu’avec elle, « il faut allez vite, très très vite! ». C’est normal, « dans son parcours, elle a toujours été première» ajoute -t-il.

« Première femme officier-médecin de l’armée, première femme  Directrice des services de santé des armées, première femme parachutiste commando, première femme médecin-Général ».  Il n’oublie pas de mentionner que derrière la gradée, la femme et la maman ne sont jamais loin. « Elle a un côté très maternel et la touche féminine qu’elle apporte au travail est sensible ».

Quand elle quitte le boulot, ses étoiles tombent de ses épaulettes. Place à la maman, à l’épouse. Akissi Kouamé a un homme dans sa vie. Elle est mère de trois  enfants. Derrière la porte de la maison familiale, on parle de « douceur »de « tendresse », de « générosité ». Pour son fils aîné, Souleymane, c’est « une maman poule,  pas uniquement pour ses enfants, pour tous ceux qui l’entourent ».

Il ajoute, « c’est beaucoup de fierté de la connaître parce qu’elle est la première femme à voir atteint le grade de Général, d’être son fils et de partager son quotidien. » Il explique qu’à la maison, les enfants ont reçu une éducation « pas à la militaire » mais les principes de discipline, d’honnêteté et d’abnégation ont été mis en avant. « Ce sont des choses qu’elle nous a  inculquées » affirme-t-il, assis dans le fauteuil à côté de sa mère avec laquelle il échange des regards complices.

Pour son époux qu’elle appelle affectueusement « le boss », c’est une femme très douce et très courageuse.

« Moi, je la vois comme une femme civile. Quand elle est dehors, il y a « les étoiles », elle est « Général. » A la maison, c’est moi « le Général », elle est sous mes ordres, donc soldat » dit-t-il en riant.

Il raconte qu’il a  été impressionné quand il a  découvert qu’elle était la première femme commando parachutiste. « Un matin, elle s’est habillée et a porté le béret rouge. Je lui demande ce que c’est, et c’est à ce moment  là qu’elle me répond qu’elle est commando parachutiste ».

Dans la vie civile Madame le Général est une grande militante, notamment au sein de plusieurs associations de femmes en Côte d’Ivoire. En 1995, elle crée l’association des femmes cadres supérieurs de la santé qui regroupe les  femmes médecins, pharmaciennes, chirurgiennes, dentistes, y compris celles qui travaillent en laboratoire.

Elle est également membre de la coalition des femmes leaders dont elle est membre fondatrice. « J’aime quand une femme est devant. Ce qu’on voit dans la société c’est que les hommes ont tendance à écraser les femmes donc on se dit que si nous sommes ensemble et que nous nous tenons par la main on a plus de force » estime-t-elle.

D’elle, Mme Dao Gabala, Présidente de cette coalition, dit que « ce qui frappe chez elle, c’est la simplicité et le sourire… je ne l’ai jamais vu fâchée. Après sa nomination au grade de Général, c’est aux femmes qu’elle a offert cet honneur… Nous avons fait un livre blanc en 2012, elle a été l’une des femmes qui a marqué ce libre blanc. « 

Au-delà de ses combats féministes, le Général œuvre également dans le social. Elle est membre de la mutuelle de son village Singrobo. Par sa profession elle connait les femmes et les difficultés qu’elles rencontrent.

D’où le besoin de les aider à travers sa « Fondation Général Akissi » dont le lancement a eu lieu en 2015. Le but de la fondation, s’occuper des jeunes filles qui ont eu « un incident de parcours » ainsi que des nécessiteux.  « Comme si j’avais les solutions »  ironise-t-elle.

Comment fait-elle pour allier toutes ses activités ? « Je sais où je vais. J’ai une équipe dans chaque domaine et je leur donne des directives, et les week-ends j’ai les pieds dans le plat ». N’est-elle pas issue d’une chefferie?

« Maman Général » est aussi et surtout une femme de foi. « Chacun s’appuie sur quelque chose, même s’il ne le dit pas. Moi je suis avec Jésus… Je suis prophète. J’établis des églises dans des villages, surtout » révèle-t-elle. Pour elle, cela relève d’un devoir particulier. « Ici c’est la place des hommes. Si le seigneur a permis que je sois Général de brigade, et pour le moment la seule en Côte d’Ivoire, c’est qu’il y a quelque chose derrière. Je dois servir les autres » estime-t-elle.

Dans sa besace bien chargée, on trouve aussi un certain goût pour l’écriture. Elle est auteure de deux livres. « Ma rencontre avec Dieu » et « Les secrets pour vivre un mariage heureux ». Son troisième ouvrage est en cours d’écriture.

Elle ne conçoit pas de refaire le monde toute seule mais compte bien y apporter sa contribution. Un fil, qu’elle tire inlassablement, lie ses activités professionnelles et privées. Le goût de servir. Madame le Général est toujours en service.

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