Société

Après 30 ans d’existence, des anciens de la FESCI jugent leur syndicat

Mis à jour le 22 avril 2020
Publié le 22/04/2020 à 5:36 , , , ,

Le 21 avril 1990, dans une paroisse catholique d’Abidjan, à la Riviera, est créée la Fesci, la fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire vient de rentrer dans la spirale de la contestation juvénile et estudiantine après des années de calme réglementées par le parti unique.

Creuset de la jeunesse de gauche, ce syndicat étudiant a eu trois secrétaires généraux charismatiques : Martial Ahipeaud, aujourd’hui enseignant-chercheur à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, Guillaume Soro, ancien chef de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles et ancien président de l’Assemblée nationale et Charles Blé Goudé, leader de la jeunesse patriotique, harangueur de foule pour Laurent Gbagbo.

Tout le monde s’accorde à dire que la FESCI à travers ses contestations, grèves, assassinats et troubles orchestrés a été utilisée par des politiciens pour parvenir à leur fin.

« Certains leaders de la FESCI se sont laissés manipuler par des leaders politiques ; chose qui a eu une incidence sur son combat », affirme Roger Youan, ancien coordonnateur de la section FESCI de Duékoué. La FESCI, a la politique dans ses gènes, suscitée et créée, téléguidée par des enseignants-chercheurs de l’Université d’Abidjan d’alors, la seule université du pays, avec ses enseignants chercheurs de gauche. Des anti-Houphouët-Boigny et PDCI-RDA qui ont tous fait leurs études supérieures en France.

Il y a une constance, après les années de lutte syndicale, les leaders de la FESCI se retrouvent sur le champ politique.

Martial Ahipeaud avait rejoint le Général Robert Guéï pendant la transition militaire (décembre 1999 octobre 2000). Charles Blé Goudé est devenu un principal soutien du régime de Laurent Gbagbo, quand son secrétaire Général d’alors, militant FPI, sorti des rangs après qu’on lui a refusé la présidence de la JFPI, Guillaume Soro, allait se retrouver chef de la rébellion des Forces Nouvelles.

Bien avant, le jeune venu de Lafopkokaha, à 12 Km de Ferkessédougou, avait été le colistier d’Henriette Dagri Diabaté sur une liste aux législatives de 2000. Boycottée par le RDR.

Aucune opposition n’est tolérée

En 2000, l’accès au pouvoir d’Etat se nourrit avec la prise en compte de la FESCI dans la stratégie de l’opposition conduite par le FPI et Laurent Gbagbo, père spirituel de la nébuleuse estudiantine. Le principal opposant, Laurent Gbagbo voit en la FESCI un bon appui pour accéder au pouvoir.

Le secrétaire national Charles Blé Goudé est favorable à cette idée. Il vient de la même région que le leader, opposant historique à Félix Houphouët-Boigny. Doumbia Major y est opposé. Cette opposition aboutit à la « crise des machettes ».

 « J’ai dit à Blé Goudé, qui était dans ce schéma avec Gbagbo, pour exclure de la course à la présidentielle les adversaires du FPI, que la FESCI ne devait pas être complice de cette exclusion. J’ai donc démissionné », révèle Doumbia Major. Soutenu par l’ensemble des secrétaires généraux, ces derniers vont mettre sur pied un Conseil de secrétaires généraux. Un affront intolérable pour un FPI et une FESCI forts du soutien de certains militaires de la junte militaire au pouvoir.

« Appuyer par le FPI et la junte militaire, Blé Goudé a fait tuer Kouassi Hervé dans sa chambre d’étudiant à la cité universitaire de Williamsville. Sergent Dahi et ses amis ont fait assassiner Koné Mourlaye », accuse-t-il. Cette bataille ayant tournée à l’avantage de Blé Goudé, Doumbia Major prendra le chemin de l’exil. A Bouaké, le campus 2, Ouambo, est le bastion des pro-Blé Goudé. Ils reçoivent des renforts d’Abidjan par des cars avec des machettes. Les courses-poursuites étaient un jeu sur au campus 1, secteur contrôlé par l’aile dissidente conduite par Guéï Paul, Gonan Ali, Coulibaly Kélégoun, Babou Traoré, Ben l’arabe…aujourd’hui des pro-Soro pour la majorité.

Au fil des années, les méthodes peu orthodoxes de la FESCI avaient fini par la rendre impopulaire auprès de la majorité de la jeunesse estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire. Le syndicalisme en milieu estudiantin était à la recherche d’un nouvel interlocuteur. Pour répondre à ce besoin, après sa démission de la FESCI, l’étudiant Dodo Habib va mettre sur pied l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI). Très vite son organisation va gagner du terrain. Soupçonné de rouler pour la rébellion des Forces Nouvelles, le secrétaire général de la FESCI, Serge Kuyo (2003-2005) va ordonner le rapt de Dodo Habib alors à Abidjan. Il est sorti de chez son oncle à Yopougon et conduit à l’université de Cocody pour son procès. Le verdict et la sentence étaient d’avance connus. Il sera exécuté, son corps emballé dans un sac jeté sur l’ancienne route de Bingerville. Après ce meurtre, pour démontrer sa puissante, la FESCI organise des manifestations paramilitaires dans les différentes sections.

L’un des compagnons de Serge Kuyo, Sémi Bi Guillaume qui vit aujourd’hui aux USA a déclaré récemment avoir « pris des coups pour Dodo Habib le jour de sa mort de la part de ses proches amis de Bouaké, en tentant de le protéger de leur colère ».  Un aveu qui a fini par convaincre certains anciens du plus puissant syndicat étudiant ivoirien qu’il en sait beaucoup sur ce meurtre crapuleux.

« Voici ceux qui ont assassiné Habib Dodo, l’un d’entre eux qui est en fuite aux USA », avait soutenu Doumbia Major. La lumière n’a jamais été faite sur cet assassinat.

Des tous les responsables de la FESCI, seul Guillaume Soro a assumé de hautes fonctions, ministre d’Etat, Premier ministre, Président de l’Assemblée nationale. L’ancien chef rebelle est poursuivi pour tentative de coup d’Etat, et de recel de deniers publics. Il vit en exil en France. Depuis les bords de la Seine, il promet à ses partisans qu’il sera bel et bien candidat à la présidentielle d’octobre prochain alors qu’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Dans une analyse évolutive de l’organisation, il a reconnu qu’à un moment donné de son existence, la FESCI s’est radicalisée. Une radicalisation qui n’a eu aucun impact sur son idéal selon l’ex-secrétaire général national.

« Le Mouvement a été victime des maladies infantiles des organisations de lutte. Il s’est radicalisé. Et cela nous a été reproché. Pourtant, j’insiste, cette situation n’obère en rien l’idéal originel et les acquis de la FESCI. La critique est une chose bien commode dit-on. Chaque génération, avec ses réalités et son temps, a tenté de porter haut l’étendard j’en suis convaincu » tente-t-il de dédouaner l’organisation qui est la liste noire des organisations criminelles dans certains pays.

Depuis le bord de la Seine, Guillaume Soro se souvient que « Trente années sont passées, dont une décennie terrible, sanglante. La FESCI de ce nouveau millénaire renaît et affiche la calme détermination de celui qui a désormais trouvé sa voie. L’idéal fondateur, est de nouveau au cœur de l’action syndicale. La FESCI doit servir une cause : celle du peuple de Côte d’Ivoire et non celle de ses dirigeants. Elle doit redevenir le phare qui éclaire la conscience estudiantine et scolaire, comme elle le fut dans les années 1990. Je suis membre de cette histoire. Nous sommes tous membres de cette histoire » soutient Bogota.

Mian Augustin, le secrétaire général qui ne voulait pas partir

De tous ceux qui ont dirigé la FESCI, Mian Augustin peut se targuer d’être celui qui a passé plus de temps à la tête de cette association. Élu en décembre 2007, alors qu’il était âgé de 34 ans et étudiant en licence 3 de droit privé à l’université de Cocody, il a été purement et simplement remplacé en 2015 par Assi Fulgence Assi (AFA). Car la jeune génération s’était lassée d’un leader qu’elle trouvait assez vieux.

Depuis sa création, la FESCI aux dires de bon nombre d’observateurs n’a pas atteint les objectifs pour lesquels elle a été créée. « L’objectif principal n’a pas été atteint : Celui des meilleures conditions d’études et d’une école de qualité pour tous. En un mot un système éducatif et de formation qui réponde aux défis de notre pays », reconnaît Roger Youan, ancien coordonnateur de Duékoué.

Le 1er Secrétaire adjoint aux affaires sociales durant la période 2007-2009, Guédé Yoro Gérard, estime que « ce qui manque à la FESCI qui est plongée dans une agonie depuis la chute de Laurent Gbagbo : c’est une renaissance. »

« Il lui manque sa RENAISSANCE. Et cette génération devrait s’adapter à la formation afin d’atteindre cette renaissance qui permettra à l’école ivoirienne de passer de l’étape de l’éducation à un système de formation de la jeunesse, gage de l’emploi. Pour cela, la direction de la FESCI, doit combattre le mercantilisme de la lutte, qui est la source de l’auto-violence entre responsables. Vu que son crédo est la NON-VIOLENCE, il faut combattre la violence à l’origine » recommande-t-il.

Embouchant une trompette contraire, Guillaume Soro soutient plutôt que la FESCI a œuvré à la naissance d’une école de qualité en Côte d’Ivoire.

« Et dans les batailles menées pour l’avènement d’une école ivoirienne de qualité, la FESCI a su remporter des batailles glorieuses qui ont fait briller son étoile dans le firmament des organisations de lutte populaire ouest-africaines » salut-il sur sa page Facebook. Celui qui fut secrétaire général de 1995 à 1998 assume tous les regrets et se félicite des réussites. Comme pour la rébellion, il assume ses responsabilités sans faux fuyant.

Eugène Djué, deuxième secrétaire général dans le livre est à paraître bientôt, ‘’Et si la lutte estudiantine m’était contée, FESCI, la préhistoire », explique dans un style simple les vicissitudes qui ont marqué la vie de cette organisation étudiante. Celui qui aura échappé aux flammes punitives, de retour de son village, Diabo, pour dit-on y avoir rencontré un baron du PDCI-RDA, n’a jamais abandonné la lutte du FPI. Même si le butin à l’arrivée est bien maigre pour lui.

Blé Guirao, Directeur Général du CROU-A, se remémore ses années estudiantines quand il arpente les allées de l’université devenue l’université Félix Houphouët-Boigny. L’enseignant de Mathématiques est une source pour les plus jeunes. Militant de l’UDPCI, il est un soutien de Dr Mabri Toikeusse Albert, qui lui, était au Meeci, proche du PDCI-RDA.

Après 30 ans, de courses-poursuites, de sauts de clôture, affrontements, paix de braves, la FESCI poursuit son chemin. Les méthodes des anciens survivent, racket, intimidations, faux et vivier des politiciens. Aura-t-il le courage d’opérer sa mue pour ne voir que les intérêts des élèves et étudiants ? Pas si sûr même si l’espoir de la lutte, est permis.

Arnaud Houssou

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