Continent

Surendettement de l’Afrique, Ouattara, Macky et la DG du FMI croisent le regard

Mis à jour le 5 décembre 2019
Publié le 05/12/2019 à 2:58

Ce mardi 3 décembre s’est tenu le « Débat africain », émission animée par le journaliste Alain FOKA sur Radio France Internationale (RFI). L’émission a réuni un plateau exceptionnel pour évoquer la question de l’endettement des États africains suite au Forum de Dakar portant sur le « Développement durable et dette soutenable ».

C’est en présence d’Alassane Dramane OUATTARA, président de la République de Côte d’Ivoire, Macky SALL, président de la République du Sénégal, Kristalina Georgieva, Directrice Générale du Fonds monétaire international (FMI) et Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes que le débat « L’Afrique est-elle endettée » s’est tenu, dans une réflexion visant à explorer les politiques économiques permettant aux pays d’Afrique subsaharienne de répondre à leurs besoins de développement sans compromettre la soutenance de leur dette.

En 2017, votre prédécesseur tirait la sonnette d’alarme en avertissant que certains pays africains étaient sérieusement en danger, parce qu’ils étaient très  endettés. Est-ce vrai que ces pays que vous découvrez sont très endettés, plus endettés que les autres ?

Kristalina Gerogieva : Nous avons de nombreux pays, d’ailleurs pour être précis, il y a 7 pays qui sont dans une situation de surendettement et nous avons 9 pays supplémentaires qui sont très endettés et qui sont proches de ce même seuil, celui du surendettement. Il convient de préciser que parmi ces pays, la majorité sont des États fragiles, c’est-à-dire que ce sont des pays qui sont freinés par des problèmes qui relèvent de la sécurité, du changement climatique et ce sont aussi des pays qui sont riches en matières premières et qui ont pâti de la chute des prix des matières premières. Il y a un nombre restreint de pays où le surendettement est une conséquence d’un manque de transparence et accumulé à d’autres difficultés, cela joue un mauvais tour à ces pays. Mais il ya beaucoup de pays en Afrique qui sont très prudents dans la gestion financière et la dette a été utilisée au service de la croissance et de la prospérité dans de nombreux pays africains. Donc il faut rester prudents. Bien sûr, il y a un problème de dette en Afrique, d’ailleurs il y a un problème de dette dans le reste du monde. Ce n’est pas qu’en Afrique, il y a d’autres pays qui ont des niveaux de dette très élevés et on se pose la question de savoir pourquoi. Et l’une des plus grandes raisons, c’est tout simplement parce que les emprunts ont été très faciles ces derniers temps avec des taux d’intérêt très bas et si on emprunte à des fins utiles pour financer le développement et bien finalement, c’est une très bonne stratégie. Toutefois, si l’emprunt se fait pour financer des projets qui ne sont pas prudents, qui ne sont pas intelligents, alors ça peut-être problématique.

En même temps quand on entend ça, ce sont des choses que l’on sait. Est-ce qu’on pas l’impression qu’on infantilise ces dirigeants en leur disant « vous êtes trop endettés » ou bien est-ce votre rôle de tirer la sonnette d’alarme ?

Kristalina Gerogieva : Ecoutez, je pense que nous, en tout cas au FMI, on s’attaque à la question de dette de manière très holistique. On s’intéresse à la dette des plus viables dans nos pays membres. D’ailleurs; je tiens à souligner que nous avons un point de vue très positif sur les pays africains qui sont le moteur de la croissance pour le continent et pour le reste du monde. Nous avons 25 pays en Afrique qui font rougir de honte le reste du monde puisque le taux de croissance sont à 6,7,8% . Et d’ailleurs sur ce panel, nous avons deux chefs d’Etats, de deux des pays qui s’en sortent bien.

 En même temps quand on dit ça, on a deux leaders de cette croissance sur ce plateau, les gens se disent on veut bien que ce soit des leaders, mais est-ce qu’ils n’empruntent pas trop sur le marché ? Est-ce que vous n’êtes pas trop endettés Monsieur le Président Alassane Dramane Ouattara ?

Alassane Dramane Ouattara : Non pas du tout, en fait, le pourcentage de la dette sur la richesse nationale, le PIB en Côte d’Ivoire est de 48%.

Ce pourcentage était de 66% en 2011. C’est dire qu’en réalité, il y a eu une baisse, mais c’est parce qu’il y a eu l’effacement de la dette dans le cadre de l’allègement pour les pays pauvres très endettés. Ceci étant, la question de l’endettement dépend de la capacité du pays à montrer ses atouts pour emprunter. Si vous n’êtes pas bien gérés, vous allez emprunter à un taux très élevé. Si vous êtes bien gérés, les taux seront plus bas. Nous, nous avons donné la priorité, en Côte d’Ivoire, au financement par le secteur privé. Le secteur public, les conditions sont à négocier, ce n’est pas aussi extraordinaire que ça. Et nous avons pu, en maintenant ce taux d’endettement à 48%, réalisées depuis 7 ans  des taux de croissance moyens de 8% par an. C’est dire que c’est possible.

 C’est possible. Mais est-ce qu’on hypothèque pas l’avenir des générations à venir ? Est-ce qu’on emprunte pas trop ? Est-ce qu’ils vont être capables de supporter la dette ? On a des pays où on emprunte encore pour payer la dette.

Alassane Dramane Ouattara : Oui, mais chaque pays se gère en fonction de sa capacité et de ses dirigeants. Ce sont des choses dont on doit tenir compte, nous nous en tenons compte. Nous voulons que, par exemple, on n’atteigne pas 50% d’endettement avant 2020, et qu’on ne soit pas à plus de 55% en 2025 parce qu’on ne veut pas que le remboursement de la dette dépasse 17 à 18%, 20% des recettes fiscales. Comme ça, le reste peut faire les dépenses de fonctionnement, les investissements et ainsi de suite.

Monsieur le Président Macky Sall, on entend ça et là dire qu’on emprunte, mais ce sont souvent des emprunts pour des infrastructures de prestige, des choses de prestige. Que répondez-vous à cela ? Est-ce que ces emprunts sont vraiment nécessaires ? Est-ce que ces infrastructures sont vraiment nécessaires pour le développement ? Est-ce qu’il n’y a pas un peu de prestige dans tout ça ?

Macky Sall : Je voudrais d’abord, quand même, remettre les choses à l’endroit sur la perception que l’Afrique est surendettée. Ce n’est pas tout à fait exact. Et la Directrice générale du FMI l’a bien spécifié. Elle a donné des cas précis où on a un stress sur la dette, un risque élevé de surendettement. Il y a des pays qui se comportent très bien, qui sont à risque modéré et il y a des pays qui sont à risque faible, donc on ne peut pas généraliser quand il s’agit de l’Afrique. Malheureusement, on a tendance souvent, à généraliser les situations quand il s’agit de l’Afrique. Donc l’Afrique n’est pas sur-endettée, c’est ma conviction. J’ai indiqué ce matin que l’endettement global du continent était autour de 45% en 2018 comparé à notre PIB, au moment où on est à plus de 250% au niveau global, au niveau mondial. Donc vous voyez que, toute proportion gardée, on peut considérer que de façon globale, que l’endettement de l’Afrique est dans une moyenne acceptable, une moyenne même qu’il faut consolider. Ce qui n’exclut pas des cas où certains pays sont vraiment en situation un peu difficile. Si on n’arrive pas à mobiliser suffisamment de recettes internes, suffisamment de fiscalités pour, non seulement payer les services et des salaires, il va de soi que le développement n’est pas possible dans ces conditions. il reste que, et nous l’avons vu pendant cette conférence, le frein à une dette durable c’est d’abord la mauvaise perception sur des risques, en vérité, allégués, qui ne sont pas conformes à la réalité du continent. Et cette perception du risque alourdi l’endettement, renchérit les crédits.

Quand vous dites perception du risque, comment on l’explique ?

Macky Sall : Ça veut dire que quand vous dîtes que vous voulez aller investir en Afrique, les gens considèrent que l’Afrique c’est un continent à problème, que c’est très difficile, on risque de ne pas rapatrier, on exige des taux de rentabilité que nulle part ailleurs dans le monde on ne peut exiger.

Ailleurs, à 10%, on est absolument sûr de son business. Ici, les gens vont au minimum exigé 20% de taux de rentabilité interne voire 30%. Donc voilà le problème de fond.

Mais alors quelle solution ? Faut-il y avoir une solution purement africaine ?

Macky Sall : Non, l’Afrique toute seule ne peut pas, on est dans un monde globalisé. Seul, on ne peut pas. On a beau vouloir faire du populisme, c’est un monde globalisé. C’est pourquoi nous sommes ici avec les organisations multilatérales, nous sommes des Etats, il y a des économistes, des sociétés civiles. Il faut ensemble que nous posions les vrais problèmes pour ensemble trouver les solutions parce qu’elles sont des solutions globales.

La première mesure, c’est en fait d’enlever cette perception qui ne correspond pas à la réalité. Or, la perception ici joue à la place de la réalité. Donc on surtaxe les africains sur un risque qui n’est pas tout à fait exact. Même en Europe, on a vu des pays qui ont failli dans leurs dettes. Ici vous n’en avez pas, malgré les difficultés. Pourquoi nous on doit payer cinq fois plus, six fois plus de risques que ces pays? C’est ça que nous posons, c’est là où il y a injustice.

N’est-ce pas la gouvernance ?

Macky Sall : Non, la gouvernance c’est autre chose. La gouvernance c’est vraiment notre responsabilité de gérer et de bien gérer les ressources  à notre disposition et de bien mobiliser les recettes  internes. A ce niveau, il y a des efforts qui ont été faits. En moyenne, dans l’UMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), nous sommes autour de 16 à 17, 18%  de taux d’imposition. Il faut aller au-delà, il faudra aller jusqu’à 24%, ça c’est notre responsabilité. Il faut aussi savoir choisir les projets. Vous avez parlé de projets de prestige, oui il y en a eu peut-être. Mais aujourd’hui, c’est que les africains font ce n’est pas du prestige. Construire des autoroutes, construire des chemins de fer, ce n’est pas du prestige.

Est-ce que c’est l’urgence aujourd’hui ? Dans la situation actuelle est-ce l’urgence ?

Macky Sall : Voyez, dans certains pays comme le Sénégal, la Banque Mondiale elle-même a fait une étude démontrant que les embouteillages coûtent plus de 100 000 000 000 de francs CFA par an, en terme de lenteur et d’influence négative sur la croissance. Donc faire des infrastructures qui permettent une mobilité optimale n’est pas du tout une dépense de prestige. Faire de l’électricité n’est pas du tout une dépense de prestige, c’est un nécessaire besoin des populations. Donc il n’y a rien de prestigieux dans ce que nous faisons.

Alassane Dramane Ouattara : Je voudrais dire que, la Directrice Générale vient de le dire, sur les 54 pays africains, il y en a seulement 17 qui sont considérés comme ayant un endettement excessif. Comme le président Macky Sall le disait, 17 pays sur 54. Mais on continue de globaliser le continent africain et de dire que ça va mal partout. Donc ça élève le taux de risque pour l’endettement, pour les assurances, les entreprises privées, ainsi de suite.

Kristalina Gerogieva : J’aimerais parler de deux points. Tout d’abord, quand on s’intéresse à l’histoire, on constate que les pays qui étaient pauvres et qui sont devenus riches sans ressources naturelles, l’ont fait en se basant sur trois facteurs : tout d’abord, l’infrastructure. Ça veut dire, aujourd’hui, l’infrastructure numérique. Aussi, le capital humain et la bonne gouvernance. Et c’est sur ces piliers là que l’Afrique doit se concentrer. Le problème qu’on constate, en deuxième point, les personnes qui regardent l’Afrique de l’extérieur, ces personnes n’arrivent pas vraiment à distinguer les pays qui ont des problèmes de gouvernance et ceux qui ont une bonne gouvernance.

Ils ne retiennent que la moyenne. Et la moyenne en Afrique, il y a un peu de tout, des extrêmes, les très bons, les très mauvais. Donc c’est perçu en moyenne comme étant très risqué. Mon professeur de statistiques me disait « On peut mettre ses pieds dans le réfrigérateur et la tête dans le four, votre température corporelle sera certes moyenne, mais vous serez mort ». Je pense qu’il faut absolument distinguer et présenter au monde entier, de manière très systématique, ce qui se fait de bien, de très bien en Afrique et ce qui se fait de moins bien et de très mal. C’est notre responsabilité en tant qu’organisation internationale de le faire.

Est-ce que vous êtes équipés aujourd’hui pour voir ça ? Parce que quand on parle du FMI, je sais que le Président Alassane Dramane Ouattara y était, on se dit qu’ils sont déconnectés des décisions africaines, que vous prenez des décisions, là bas à Washington, avec des canaux américains… Est-ce qu’aujourd’hui sur place vous avez des gens qui tiennent compte de ce qui se dit au Sud ?

Kristalina Gerogieva : Je vais commencer par vous dire que dans 35 pays africains, nous avons une présence locale. Après, il faut bien voir que l’on travaille comme un système. La Banque Mondiale, par exemple, travaille énormément sur le terrain avec la Banque Africaine de Développement, les institutions des Nations Unies. Si on rassemble tout ça et qu’on le prend d’un point de vue objectif, au delà des pays, on peut déjà raconter une belle histoire. Et c’est pourquoi je me suis engagée au sommet et je suis ravie que le président Macky Sall ait organisé ce sommet. L’idée c’est de travailler vers les différenciations claires et sur la base de données probantes.

Au risque que vous me le reprochiez, qu’on dise que je suis insolent, on voit de belles autoroutes, de belles infrastructures.. On a pas le sentiment que l’on ne s’endette pas pour des choses essentielles comme l’Éducation, comme la Santé ? On a pas beaucoup vu ça.

Alassane Dramane Ouattara : Ah si !

Quand on visite les pays, les endroits où on est le plus mal à l’aise ce sont les hôpitaux, il ne faut pas dire le contraire.

Alassane Dramane Ouattara  et Macky Sall : Monsieur Alain Foka, comment vous pouvez dire ça ?

Je suis africain, je vois pas mal de pays où ça se passe très mal.

Alassane Dramane Ouattara : Madame la Directrice Générale le disait tout à l’heure, il faut des infrastructures, il faut le capital humain et la bonne gouvernance. C’est ce que nous faisons quasiment tous. On a commencé par les infrastructures, mais si vous n’avez pas de routes en Côte d’Ivoire par exemple, comment évacuer le cacao vers le port d’Abidjan ? Et ainsi de suite. L’Éducation et la Santé, nous avons, quasiment en 8 ans, construit plus d’écoles qu’en 50 ans d’indépendance. Et nous avons construit huit universités par rapport aux trois que nous avions il y a 8 ans. Pour les écoles secondaires et les écoles primaires c’est pareil. Les centres de santé, en 8 ans nous en avons construit…

Oui mais c’est un chantier très vaste…

Alassane Dramane Ouattara : Venez en Côte d’Ivoire, je vais vous faire visiter tout ça. (rires)

Macky Sall : Alors là, je suis obligé de réagir, parce que pour quelqu’un qui se considère comme un champion de l’inclusion, parce que nous avons des politiques sociales très fortes. Je prends le cas de l’Éducation au Sénégal. D’abord, c’est le premier budget dans le PIB, il fait deux fois et demi le budget de la Défense au Sénégal, deux fois et demi. Nous avons par exemple pour les Universités, trouvé 5 000 lits ,en capacité, nous sommes en train de construire les résidences universitaires. Au moment où je vous parle, nous avons ajouté 8 000 lits, nous avons trouvé 5 000 depuis l’Indépendance et nous avons au programme d’ici deux ans d’atteindre 30 000 lits, ce qui est en cours. Les bourses annuelles d’étudiants, nous sommes passés de 20 milliards à 66 milliards de francs CFA. Donc je peux parler comme ça sur l’agriculture, sur l’énergie. Alors il ne faut pas voir la route entre l’aéroport et l’hôtel pour considérer qu’il y a une autoroute, donc c’est une dépense de prestige. Non ! L’autoroute fait aussi parti des besoins vitaux.

Même la création d’une nouvelle ville Monsieur le Président ? Est-ce que c’était nécessaire ?

Macky Sall : Justement, cette nouvelle ville a une vocation. C’est d’abord de faire respirer Dakar. Vous savez Dakar est une péninsule, nous ne pouvons pas avoir d’extension à Dakar. Dakar est en hauteur et ça étouffe. Le coût du foncier est exorbitant. Aujourd’hui on atteint 1 million et demi de francs CFA pour le prix du mètre carré. Ça fait 3 000 euros le mètre carré à Dakar. Donc il fallait un espace. Nous avons eu l’opportunité d’avoir une autoroute, donc de régler la connectivité et cette nouvelle ville est entre l’aéroport et la ville de Dakar. Donc c’est un espace de respiration, et nous sommes en train de transférer des activités comme les ministères, le sport et l’activité économique pour que ne soyons pas toujours dans un mouchoir de poche, comme ce fut le cas. Dakar, la capitale, avec 0,3% de territoire national, vous avez 25% de la population nationale. Ce n’est pas possible et donc on ne peut pas faire de la mobilité avec cela. Il faut voir ça comme un programme d’aménagement du territoire, comme une facilitation d’accès aux logements, parce que là au moins le foncier est gratuit pour le acquéreurs. Donc c’est plutôt comme ça qu’il faut voir la situation.

Jean-Hervé Lorenzi : Je réagis parce que je trouve que vous faites parti, cher Alain, et c’est pour provoquer, un peu des gens qui véhiculent cette image du passé. En réalité, le monde tel qu’il est entrain de naître sur une trajectoire d’économie mondiale qui n’a rien à voir avec ce qu’on a connu, aura évidemment besoin de la croissance en Afrique. C’est vrai qu’il y a des pays, comme partout, comme en Europe, comme partout, comme en Amérique du Sud, il y a des pays qui ont des difficultés. Mais l’immense majorité des pays africains est en réalité en terme de croissance très rapide, c’est très important. Reprenez le mot qui était employé par l’OCDE, qui il y a une vingtaine d’années, quand on parlait du Japon, c’était la « locomotive ».

L’Afrique sera dans les années qui viennent une locomotive.

Permettez que je sois le porte-parole d’un certain nombre de personnes. Sur la papier c’est très bien mais on rencontre des gens dans la rue qui disent on nous parle de croissance, mais nous on ne mange pas la croissance…

Alassane Dramane Ouattara : Ça c’est normal, tout le monde ne peut pas avancer au même rythme. Il y a des gens qui avancent plus vite que d’autres, il y a des défavorisés. C’est pour cela que le président Macky Sall vous disait qu’ils avaient un programme d’inclusion, et en Côte d’Ivoire nous avons ce qu’on appelle « un programme social du gouvernement ». Maintenant, nous y consacrons 1 000 milliards de francs CFA, pour voir les endroits où les écoles n’ont pas de tables, pas de bancs, des centres de santé où il n’y pas de médicaments, les pompes villageoises qui sont en panne, les endroits où il y a des poteaux  mais pas d’électricité etc…

Donc un programme qui cible le quotidien des ivoiriens et c’est un peu partout comme ça. Nous reconnaissons que la croissance globale ne peut pas profiter à tout le monde au même rythme, donc il faut cibler les plus faibles. Nous avons le programme des bourses alimentaires que le Sénégal a aussi. Et chaque trimestre, nous faisons en sorte de donner de l’argent à 150 000 familles, à condition que les familles envoient leurs enfants à l’école, que les vaccinations se fassent et ainsi de suite, je ne veux pas monopoliser la parole.

Jean-Hervé : Tout prend du temps. Si je prends l’Europe, il a fallu presque un siècle pour qu’elle se développe, et vous savez les conditions de vie entre le début du 19è siècle et la fin du 19è siècle n’avaient rien à voir. Et aujourd’hui, le mot de croissance inclusive ou de développement durable, d’une certaine manière, est en train de naître ici, curieusement parce que c’est le Président Macky Sall qui, le premier avait évoqué ce thème lors des rencontres à Aix-en-Provence… Mais sur le fond, cette idée va croître mais il faut faire aussi attention à ceux qui sont en difficulté, et c’est vrai qu’il y en a, c’est en réalité ici que c’est né.

Macky Sall : Alain, je vais juste, si vous le permettez, dire que la croissance se mange. La croissance c’est la production de richesses. Ces richesses produites, c’est des emplois qui produisent de la richesse. Quand vous avez un accroissement de la production agricole, ce sont des emplois agricoles créés. Ces emplois agricoles permettent d’augmenter les rendements et de donner cette croissance. Donc la croissance génère l’emploi et l’emploi, génère les salaires, et les salaires qui servent à la consommation. Donc on ne peut pas dire comme ça qu’on ne voit rien, que rien ne bouge. Non ! Ce n’est pas conforme à la vérité. Maintenant, comme l’a dit le Président Ouattara, tout le monde n’est pas au même niveau, au même rythme c’est vrai. Tout n’est pas parfait non plus dans le système publique. Nous avons des défis dans nos hôpitaux, nous avons des défis dans l’Éducation, pourtant ce sont les secteurs qui sont les plus dotés. Mais il y a des défis. Même dans les pays développés il y a des défis dans ces secteurs. Il faut que nous soyons tolérants, il faut que nous sachions que ce n’est pas facile, mais nous devons arrêter de nous autoflageller tout le temps pour dire que rien n’est pas fait.

Les attentes sont importantes, les gens viennent de très  loin Mme Georgieva, surtout qu’on vous reprochait à l’époque de ne pas vouloir tellement investir dans ces secteurs là. Ce qui se disait, c’est que ces secteurs ne sont pas bénéfiques, on n’y gagnera pas d’argent, donc on ne va pas financer.

Kristalina Gerogieva : Manifestement, le message qui ressort pour les personnes qui nous écoutent et nous regardent, c’est qu’il y a des pays en Afrique où il n’y pas d’investissements qui sont faits et ça c’est malheureusement les pays concernés qui en pâtissent. Mais je rejoins ce que vous avez dit tout à l’heure. En effet, le développement ça prend du temps. Ce n’est pas comme une tasse de café instantané. Evidemment, il faut prendre en compte le fait que le monde est en train de se développer et d’avancer très rapidement, profiter de la vitesse actuelle parce que ça sera bien plus rapide à l’avenir et les pays vont devoir travailler plus vite plus rapidement pour pouvoir permettre aux populations d’être prêtes pour ces métiers de l’avenir. Ce qu’on recommande d’ailleurs dans ce contexte là, et ça va dans le sens de ce qu’on a entendu, c’est que les gouvernements se concentrent sur l’augmentation des recettes nationales et que ces efforts soient bien plus conséquents que ce qu’on a pu voir. Il y a entre 3 et 5% de PIB sous-utilisés en terme de génération potentielles de recette publiques. Le PIB de l’Afrique, c’est 1700 milliards de dollars. Imaginez ce qu’on pourrait faire avec une augmentation de seulement 1%, en terme d’investissement dans le capital humain, les infrastructures etc…

Donc mon message est le suivant : il n’y a pas suffisamment de temps pour prendre le temps et rattraper le reste du monde dans la pression fiscale. Il faut avancer rapidement parce que le monde lui va très vite. Lorsque l’Europe était en train de se développer, on se déplaçait d’un endroit à l’autre, en Europe, à cheval. Maintenant, on a des iPhones.

Alassane Dramane Ouattara : Il faut ajouter que l’Europe a eu le Plan Marshall, ce que nous n’avons pas, donc il faut compter sur nous-mêmes, c’est ce que nous faisons, ce matin nous l’avons dit, ce qui nous donne une perspective. Mais la réalité c’est que dans beaucoup de pays africains, les choses avancent et ça va beaucoup mieux. Ce que nous voulons c’est que tous les africains améliorent leur quotidien, qu’il y ait un peu d’eau potable partout. La santé, l’énergie, les infrastructures, c’est l’ambition de tout président j’imagine. Quand ça n’est pas fait nous sommes les plus malheureux. Ça demande des financements et ces financements posent le problème de la dette. Je remercie Macky Sall et Mme la Directrice de nous avoir invité à cet événement de prestige.

Jean-Hervé Lorenzi : C’est très important ce qu’était le Plan Marshall. Il faut se souvenir. En 1947, L’Europe était dévastée, les taux d’intérêt, on ne pouvait pas investir, personne ne voulait investir. Il a fallu en réalité un geste

énorme, immense des Etats-Unis qui ont sauvé des développés. On ne l’a pas aujourd’hui en Afrique donc il faut trouver des modalités qui correspondent finalement à trop pouvoir investir, du privé, du public, avec des taux d’intérêt qui soient beaucoup plus acceptables. Ce sont des financements qui doivent être mobilisés un peu partout. Il y a évidemment les institutions internationales, il y a l’aide au développement, il y a les ressources propres, il y a autour du secteur privé. Pour ça, il a besoin d’être sécurisé, qu’on arrête d’expliquer que les plus grands risques se trouvent ici (En Afrique), les plus grands risquent ne se trouvent pas ici

Pour vous les plus grands risques ne sont pas ici ?

Jean-Hervé Lorenzi : Non !

Macky Sall : Je voulais juste rajouter, je suis tout à fait en phase avec la Directrice générale du FMI, ainsi qu’avec le Président Ouattara et Jean-Hervé Lorenzi sur la nécessité de considérer que l’Afrique est dans une phase où on a besoin d’investissements. Ce matin on a indiqué que, et ça, c’est très important, il y a aujourd’hui des facteurs bloquants du développement de l’investissement en Afrique. Entre autres les facteurs exogènes qui sont venus perturber le cours du développement naturel de l’Afrique. Ces facteurs comprenant le changement climatique, on le sait, nous ne sommes pas les premiers pollueurs, on pollue pour moins de 2%. Mais nous subissons de plein fouet les effets du changement climatique, c’est un facteur essentiel. Quand vous prenez des pays comme ceux de la zone du lac Tchad, ou d’autres pays, ils souffrent du fait de la détérioration du système climatique. Mais il y a surtout le facteur sécuritaire. Pour terminer, il est capital que ces dépenses militaires qui sont devenues vitales pour certains pays puissent être traitées de façon appropriée. Avec le FMI, nous devons travailler ensemble pour trouver des solutions.

 Le facteur sécuritaire je voulais qu’on en parle. Je regarde de plus en plus vous allez sur le marché, vous trouverez de l’argent autrement que par le FMI. Est-ce que ces nouvelles facilités ne risquent pas de vous amener à prendre… 

Alassane Dramane Ouattara : Bien au contraire. Vous savez, pour avoir un bon taux d’intérêt, nous nous avons encore emprunté 1,2 milliard l’année dernière. Cette année c’était 1 milliard d’euros et 1 milliard de dollars. Les taux d’intérêt sont relativement bas, plus bas que la plupart des taux en Afrique du Nord ou dans d’autres pays qui ont l’habitude d’aller sur les marchés mais pourquoi ? Parce que le cadre macroéconomique est sain. Les investisseurs se disent : ce pays, depuis 7-8 ans, a un taux d’inflation bas, une dette modérée et a un bon taux de croissance. Nous empruntons, à moins de 6% sur 12 ans, sur 15 ans, si ce n’est une plus longue durée. Si la gestion n’était pas bonne, on emprunterait à 10-11 % comme certains pays que je ne nommerai pas. C’est concessionnaire ce que le FMI nous donne.

Kristalina Georgieva : Lorsqu’on offre systématiquement des fonds, lorsque toutes les autres ressources se sont asséchées, on est le bailleur de dernier recours. Et d’ailleurs nous sommes ravis d’avoir des pays africains qui ont des progrès que nous ne finançons pas. La seule chose qu’on fait pour ces pays, c’est apporter une vérification et un peu de rigueur. J’aimerais voir davantage d’exemples de ce type là en Afrique. Nous donnons des conseils très clairs aux pays. D’abord nous aimerions leur dire augmenter les recettes fiscales parce que c’est ce qui vous permettra d’avoir davantage de possibilités, d’améliorer le quotidien des uns et des autres indépendamment de ce qui se passe autour de vous. Deuxièmement, veiller à ce que les investissements soient les plus efficaces possible. A l’heure actuelle les investissements génèrent seulement l’équivalent de 60% des actifs mesurables, c’est-à-dire qu’un dollar investi donne lieu à un actif mesurable de 60 cents. Donc il faut améliorer la qualité de l’investissement et là, on peut apporter notre appui pour améliorer la mise en œuvre. Troisièmement on est très clair sur le point suivant : la qualité de la gestion, il faut que tout soit le plus transparent possible. Dans certains pays, il n’y a aucune plainte qui a été enregistrée. Dans certains pays, il n’y a aucune plainte qui est portée…

Est-ce que globalement c’est transparent ?

Macky Sall : Alain, il faut savoir que, et vous le savez, il y a une surveillance multilatérale qui se fait au quotidien pour l’ensemble des pays, y compris pour les pays africains. Aujourd’hui, il est très difficile de camoufler dans la comptabilité des États des sources qui ne sont pas conforme à la réalité. Parce qu’en vérité, les gens sont là parmi nous, ils sont dans nos Ministères, ils sont partout.

Kristalina Georgieva : En réalité, lorsqu’on découvre ces plaintes non signalées, on le dit au monde entier.

L’autre aspect, c’est la question de sécurité sur nos territoires aujourd’hui, notamment dans le Sahel, l’Afrique est confrontée à l’insécurité. Doit-on s’endetter à nouveau, un peu plus gravement pour financer cette guerre contre les jihadistes qui attaquent les Etats ? Est-ce que le FMI va accompagner cela ? Se dire finalement « on ne va pas mettre ça dans les comptes habituels ? »

Kristalina Geogieva : Nous sommes de l’avis que lorsqu’il y a des chocs exogènes, comme les chocs climatiques par exemple, ou alors lorsqu’il y a un problème sécuritaire qui vient d’un pays extérieur, alors il faut que les pays qui souffrent puissent être aidés par la communauté internationale. D’ailleurs, nous voulons qu’il y ait une plus grande aide et davantage de financements pour aider les pays pour qu’ils puissent renforcer leur capacité à protéger leurs populations. Dans le droit fil de cela, ce qu’on souhaiterait voir c’est davantage d’attention sur les aspects liés au budget de la sécurité. La Banque Mondiale est actuellement en train de faire un examen des dépenses publiques sécuritaires et on va utiliser ces informations pour pouvoir évoluer et évaluer surtout la trajectoire des pays. Les pays qui ont beaucoup de pression sécuritaire pourraient avoir des déficits plus conséquents. 3% ça ne marchera pas pour tout le monde. Il y a certains pays qui ont des problèmes sécuritaires, comme le Niger. Par exemple, si on va au-delà de 3%, on considérera que ce sont les circonstances qui l’exigent. Mais je vais être très claire pour les personnes qui nous écoutent et nous regardent. La sécurité c’est pour tout le monde. Si la difficulté se déplace d’un pays à autre, si le monde ne vient pas au chevet du Sahel, alors les problèmes du Sahel ne seront pas contenus. Donc il faut investir dans le développement pour améliorer la sécurité pour qu’il ait des retombées positives pour tout le monde.

Il y a un élan de solidarité pour ces régions. Il faut savoir que c’est une guerre globale qui ne concerne pas que le Sahel. Tout le monde m’a dit quand j’arrivais ici de poser la question aux présidents Alassane Ouattara et Macky Sall de savoir si aujourd’hui, très concrètement, une grande partie des dettes est en devises et chacun sait qu’il y a une bataille du franc CFA qui est engagée. Peut-être que bientôt on va sortir du CFA. S’il y a une dévaluation aujourd’hui comment on fait ? Est-ce que ça n’aggraverait pas la dette ?

Alassane Dramane Ouattara : Je pensais qu’on parlerait de la sécurité d’abord. On pourrait parler de la dette également, mais pour revenir à la question de la sécurité, d’ailleurs le président Macky Sall préside la plateforme de l’UEMOA, chargée de définir notre stratégie pour la lutte contre le terrorisme. Il y a eu des réunions avec les chefs d’état-major, les ministres de la défense, les ministres de la sécurité. Lui et mois sommes en train de mettre en place un pôle d’argent pour aider, justement, à sécuriser ou à participer à réduire le terrorisme au Burkina, au Niger, au Mali, les pays de l’UEMOA. Ce processus sera élargi également aux pays de la CEDEAO. Je trouve que c’est important qu’on sache que la solidarité joue. Sur la question des problèmes de devises, vous devez plutôt nous féliciter d’être arrimés à l’euro. Le fait que nous soyons arrimés à l’euro, si nous empruntons des euros, en prévoyant de les rembourser dans 5 ou 10 ans, et que le taux est fixe, il n’y a pas de problème. Donc c’est au même taux que nous remboursons. Mais si nous avons une monnaie, les gens parlent de monnaie flexible, c’est très bien pour certains pays, mais nous, nous avons une parité fixe, je suis désolé de le dire mais je suis ancien gouverneur de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest… Si les pays de l’UEMOA n’ont pas tellement de problème de dette, c’est grâce à cette parité fixe. Si nous avions une monnaie flottante, comme certains nous le recommandent, et que nous avions dévalué notre monnaie, depuis 1994, de 100%, au lieu de rembourser 1 milliard d’euros, ce serait 2 milliards d’euros.

Est-ce qu’on ne risque pas d’en arriver là M. Le Président ?

Alassane Dramane Ouattara : Non pas du tout. Nous avons l’économie la plus solide en Afrique, nous avons les taux de croissance les plus élevés dans l’UEMOA, + 6,6%, le taux d’inflation le plus bas, la dette publique la plus basse, 50% de dette pour l’ensemble de l’UEMOA et ainsi de suite. Nous respectons tous les critères de convergence aussi bien au plan régional qu’au plan international. Cette zone va bien. N’écoutez pas les populistes et les démagogues.

Il y a des chefs de l’Etats qui veulent sortir leur argent de la zone CFA.

Alassane Dramane Ouattara : Ah bon ?! Pas de l’Afrique de l’Ouest, ça j’en suis sûr. En tout cas, en ce qui me concerne, et le Sénégal, et je peux dire les six autres Etats, notre argent reste dans notre zone parce que notre zone est bien gérée.

Il reste dans la zone ? Dans le CFA ?

Alassane Dramane Ouattara : Bien sûr, ça marche bien. Le taux de croissance moyen du continent africain c’est moins de 3% aujourd’hui. Nous, nous sommes à 6, 6% Alain. Le taux d’inflation dans notre zone est de moins de 2%, la moyenne de l’ Afrique c’est 7 à 8% et ainsi de suite. Je pourrais continuer.

Jean-Hervé Lorenzi : Un mot d’économiste. Il y a 15 ans, c’était très à la mode de dire il faut la flexibilité de tous les taux de change. C’était une vision d’un monde qui a disparu. Aujourd’hui, le monde entier a des incertitudes, des difficultés. Tout ce qui est solide, organisé, tout ce qui est taux fixe que ce qui est rapport fixe est évidemment un plus. Je partage le problème du CFA, mais ce serait une folie. Je me suis battu pour que des pays européens, qui voulaient à un moment quitter la zone euro, ne le fassent pas. C’est de la folie. Tout simplement parce que la situation est une situation complexe dans le monde. Ce ne serait pas le moment d’en rajouter dans une sorte d’incertitude supplémentaire.

Il est de l’UEMOA et je suis désolé de dire dire qu’on a entendu quand même sur notre antenne le président Patrice Talon évoquer le fait qu’il va retirer une partie de ses réserves…

Dramane Alassane Ouattara : Non. Il y a eu une incompréhension.

Macky Sall : Le président Alassane Ouattara, qui est le président en exercice de l’UEMOA, de la conférence des chefs de l’Etat qui préside nos travaux, a dit ce qu’il fallait dire sur la stabilité de la zone monétaire, sur la solidité du modèle macroéconomique de toute l’Union. Sur la solidarité et sur la discipline. Là dessus, je pense que si on ne veut pas faire de politique politicienne, tout le monde reconnaît que le franc CFA aujourd’hui, peut-être c’est le nom qui gêne, est la monnaie la plus stable en Afrique de l’Ouest, c’est clair. Et elle a cours dans presque tous les pays. Or, les autres monnaies n’ont pas cours dans la zone monétaire. C’est déjà la preuve que c’est quand même une monnaie solide. On pourra en dire ce qu’on veut, changer le nom si on veut, mais…

C’est ce qu’on va faire ?

Macky Sall : C’est dans les perspectives parce que nous devons aller vers une monnaie commune, mais une monnaie commune il faut y aller avec tous les ingrédients. On ne se réveille pas pour faire le saut. Il faut que tous les préalables soient réunis pour éviter à nos populations de connaître des changements qui peuvent déstabiliser nos pays. Parce que nous sommes habitués à des taux fixes, nous sommes habitués à une inflation basse. Si du jour au lendemain on veut entrer dans une spéculation, vous aurez les paysans, vous aurez les jeunes, vous aurez les travailleurs dans la rue. On va détruire le peu qu’on avait commencé à construire. Il faut y aller par étape de façon responsable. Il est clair que nous sommes des chefs d’Etat engagés pour les intérêts de nos Etats, mais nous devons bien regarder à quel rythme nous devons avancer.

Vous n’allez pas céder à la pression qui vient de la rue, qui dit bon, le CFA il y en a marre, c’est une monnaie coloniale.

Alassane Dramane Ouattara : On ne décide pas du nom de la valeur d’une monnaie dans la rue. C’est le rôle de la Banque Centrale, et c’est ce qu’elle est en train de faire mais à un moment donné, effectivement, nous avons décidé ensemble que la monnaie va changer de nom, ça s’appellera l’ « éco », ce sera en temps voulu. Quant au taux de change flexible, comme le disait le Professeur Lorenzi, faites attention ! Je ne nommerai pas de pays, mais les pays qui ne sont pas membres de l’UEMOA ont tous quasiment des taux d’inflation de 10 à 15% alors vous vous rendez compte ? Pour les familles en difficulté, si tous les ans le taux du sac de riz doit augmenter de 10%, ce serait terrible pour ces familles, je peux citer d’autres exemples. Ça défavorise les pauvres, l’inflation.

Jean-Hervé Lorenzi : Les modalités peuvent changer Alain, on peut changer de nom, on peut changer tout ce qu’on veut. Mais la réalité c’est que nous avons aussi un certain… Moi qui suis plus âgé que vous tous, j’ai connu des taux d’inflation en France, aux Etats Unis. Quand le Président Carter a cédé la place au Président Reagan, l’inflation était d’environ 10%. Ça détruit des pays. Il faut faire très attention à ça. Or, les changements décidés comme ça, de taux de change, c’est extrêmement dangereux, surtout dans la période que nous sommes en train de vivre.

Kristalina Georgieva : Il ne faut seulement parler de l’union monétaire, il faut aussi parler de l’union économique. Je pense qu’il faudrait parler un peu plus de l’intégration économique du continent africain. Comment peut-il y avoir des accords de libre échange au niveau continental et comment augmenter les échanges de pays à pays au sein de l’Afrique. Et pour ça, pour que ça puisse se faire, il faut des infrastructures qui relient les pays les uns aux autres et il faut aussi des qualités, des compétences qui puissent être partagées et achetés par les différents pays. Et ça, ça suppose une bonne gouvernance partout.

Ce sera peut-être votre faiblesse à vous, cette intégration dont on parle depuis tellement longtemps…

Alassane Dramane Ouattara : Où est-ce que vous avez cette information là ? Ce n’est pas possible ! (rires)

Macky Sall : En 2 ans, l’Afrique est passée de l’intention à l’acte à la ratification. Nous avons travaillé tellement vite à l’échelle du continent sous la présidence du président Youssoufou que nous devons féliciter. Nous avons adopté la ZLECA (Zone de Libre Échange du Continent Africain). Aujourd’hui elle est en vigueur, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les échanges entre africains vont être boostés. Maintenant, y a un frais comme l’a dit la Directrice générale, c’est l’infrastructure. Par exemple, Dakar-Bamako, c’est 1200 km de rails.

En Afrique centrale c’est pire…

Macky Sall : Alors il faut reconstruire ces rails, il faut des rails entre tous les corridors, il faut les routes. Voilà ce que nous sommes en train de faire. Ça ne peut pas se faire en 5 ans, en 10 ans. Ce n’est pas possible. On ne peut pas exiger aussi de l’Afrique aussi ce que l’Amérique a fait en 200 ans, ce que l’Europe a fait en 200 ans, c’est un long processus, on ne peut pas trop exiger.

Alassane Dramane Ouattara : Vraiment, je suis tellement d’accord avec le président Macky Sall. C’est par étape que ça va se faire. Regardez au niveau de la CEDEAO, il y a tout de même une bonne intégration, le taux de commerce entre les pays africains est à moins de 10%/. Mais vous savez, la Côte d’Ivoire, pour le commerce intra-Ouest africain, nous sommes à 30%. Donc ça veut dire que ça évolue. Bon, vous me direz que le problème de la fermeture de la frontière du Nigéria avec le Bénin et le Niger… Ce sont des accidents qui arrivent dans l’évolution de toute relation.
Quand vous parlez de la ZLECA et qu’on voit le Niger…

Alassane Dramane Ouattara : Bien sûr, je peux comprendre que les gens puissent être sceptiques parce qu’il y a des écueils de ce genre, mais regardez zone par zone, la CEDEAO marche globalement bien même s’il y a des entraves dues aux douaniers, dues aux obstacles entre les frontières, ou même à l’intérieur des pays. Mais ce qui importe, c’est la volonté d’y aller et nous avançons. Alors nous avançons pour que la ZLECA puisse être opérationnelle. Ce ne sera pas dans deux ou trois ans, ça prendra du temps, mais ça va venir et c »est important de le faire.

La dernière chose que j’ai envie de dire puisque il faut que j’ai épuisé les sujets qui m’avaient été proposés par les internautes, sur les réseaux sociaux qui disent : on dit gouvernance, mais on voit les présidents et ils ne sont pas tellement dans la gouvernance. Il y en a qui veulent augmenter leur mandat, faire sauter les Constitutions, peut-être que vous, vous allez encore être candidat Président Ouattara…

Alassane Dramane Ouattara : Madame Georgieva vient juste d’être élue… (rires)

Et vous ?

Alassane Dramane Ouattara : Moi je ferai connaître ma décision en 2020. Je l’ai toujours dit. J’ai la possibilité, vous me voyez je suis en pleine forme. La Constitution m’autorise à le faire, donc c’est une décision personnelle et j’ai eu l’occasion de le dire.

Oui, mais les partenaires ont envie de savoir si Alassane Ouattara sera encore là prochainement ou pas ? C’est important. 

Alassane Dramane Ouattara : Oui, mais ce n’est pas une question de personne, c’est une question d’équipe. J’ai une très bonne équipe, le pays marche bien, les taux de croissance sont forts, il y a la paix, il y a la sécurité. Mais je crois fortement qu’il faut passer la main à une génération plus jeune, je travaille à cela. Si je sens que je suis prêt l’année prochaine, je le ferai. Macky Sall a pratiquement 25 ans de moins que moi, mais donc voyez (rires). C’est vous dire pourquoi je pense sérieusement à passer la main à une autre génération. Je trouve ça normal, ça fait 50 ans que je travaille. Qu’est-ce que je gagnerai à travailler encore plus longtemps ? Sauf si les circonstances exceptionnelles m’obligeait à le faire.

Vous n’allez pas faire un troisième mandat Président Macky Sall ?

Macky Sall : Ce qui est étonnant, c’est que pour un Président qui vient d’être réélu, le premier débat porte déjà pour le troisième mandat (rires).

C’est déjà un problème. Je viens d’être réélu, ça fait à peine 6 mois, et le débat veut se poser sur un troisième mandat éventuel. Donc, ce que je dis à mes amis politiques de mon bord : Concentrons-nous pour faire de ce mandat une réussite, c’est ça l’enjeu. L’opposition en face, son débat je peux le comprendre, parce que l’opposition doit toujours agiter les idées…

Les partenaires économiques aussi ont envie de savoir…

Macky Sall : Les partenaires doivent suivre l’évolution des pays. Ce sont des partenaires. Aujourd’hui, dans aucun pays développé vous ne verrez un président élu et on pose déjà le débat..

Parce qu’ils ne touchent pas à la Constitution, mais ici certains touchent à la Constitution…

Alassane Dramane Ouattara : Non, le Sénégal et la Côte d’Ivoire n’ont pas fait ça

Jean-Hervé Lorenzi : Regardez l’Europe, vous trouverez des situations surprenantes. Toujours dire que l’Afrique est un cas à part. Partout dans le monde, il y a à peu près les mêmes difficultés, les mêmes problèmes, les mêmes difficultés de gouvernance, les mêmes types de vote. Donc je trouve qu’on a beaucoup de chance d’avoir des présidents…

Nous arrivons à la fin de l’émission, en un mot…?

Kristalina Georgieva : J’aimerais que nous n’oublions pas l’une des ressources les plus importantes en Afrique, qui sont les femmes. Je pense que si nous parvenons à générer davantage d’opportunités économiques pour les femmes, en Afrique, nous observerons la création de nombreux emplois. Aujourd’hui, une femme africaine entrepreneure est, en moyenne, meilleure qu’un homme entrepreneur, mais l’homme a six fois plus accès au financement. Donc je souhaiterais que vous reconnaissez qu’il y a une grande ressource en Afrique.

Alain Foka : Le message est passé.
Macky Sall : Tout à fait

Alassane Dramane Ouattara : Vous avez raison

 Merci d’avoir accepté de débattre. Deux présidents et la Directrice du FMI sur un plateau ce n’est pas commun. Merci Mr Lorenzi d’avoir été là.

Retranscrit par la rédaction, supervision MANUELA POKOSSY-COULIBALY

Source: RFI.FR

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