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Retour sur Akouré / Séry Bailly

Mis à jour le 31 mai 2019
Publié le 16/06/2017 à 1:15

Nous ne sommes pas tous allés à Akouré. Mais nous en sommes tous revenus. Fête de la liberté ou liberté de la fête ? Telle est la question à laquelle notre pays a dû répondre en cette fin du mois d’avril. Le rideau est tombé sur ce petit village devenu célèbre pour quelques semaines. Nous pouvons en parler calmement. Quand cette fête de la liberté a commencé, il y a plus de deux décennies, un débat s’était engagé que j’avais résumé par l’expression « fête à trois voix ».

Une de ces voix disait que la liberté n’était pas encore acquise et qu’on ne pouvait célébrer que le retour du multipartisme. Celui-ci apparaissait même comme une tolérance sinon une offrande plutôt qu’une conquête. Une autre pensait qu’au fond, le multipartisme fait partie de la liberté et mériterait célébration. En sommes-nous encore à la confirmation d’un multipartisme sans liberté ou s’agit-il d’une fête de la liberté comme acte de libération ?

Aujourd’hui, nous avons encore trois voix. Elles n’ont pas chanté en chœur et chacune a fait son solo dans son style en utilisant son trémolo-ruse selon ses intérêts. Quelles sont alors ces voix ?

Commençons par la première, celle du FPI Sangaré. J’utilise cette dénomination en sachant bien que chacun des deux camps estime qu’il n’y a qu’un seul FPI, le sien. On peut définir son choix tactique par un double refus, celui de la défiance mais aussi de la déviation : ni raide ni invertébré, ni chien enragé mais non plus chien couchant.

Il a laissé ses adversaires faire leur tournée sans accroc. L’obstruction ne viendrait pas de lui. Il su donner l’illusion de la faiblesse. Il a su manœuvrer pour ne pas incommoder le Préfet.  Ce n’est pas à un Préfet qu’on fait la loi !

Sun Tzu, le grand penseur chinois de la guerre, dit qu’il est important de bien choisir le temps et le lieu de la bataille : « Connais le ciel et connais la terre, et ta victoire sera totale ». Quels sont les avantages d’Akouré, en dehors de la référence à Dabré où la CPI s’est fourvoyée ?

Le village est situé dans une sorte d’impasse. On va et revient par la même route. C’est comme si on décidait de se mettre le dos au mur. A la manière des conquistadors qui brûlèrent leurs vaisseaux, pour rendre impossible tout retour et tout recul ! Akouré-Boribana !

Ce camp gagnerait plus que le pouvoir dans le cas d’une répression. Ce serait une petite bataille avec un grand retentissement. Ne serait-ce qu’à cause de la dimension nationale apportée par des fédérations venues de partout. Et puis, il perdrait beaucoup plus dans l’hypothèse d’une abdication.

Ensuite, si les Gwa sont démographiquement faibles, ils constituent un peuple qui a la réputation d’être puissant mystiquement. Une de nos chanteuses ne dit-elle pas que Ngbato, Abidji, c’est même chose ? Ces Gwa sont aussi appelés Ngbato. Des témoins, sûrs de leur fait, affirment qu’une femme, avec ses seins, a mis le feu au moteur de la voiture préfectorale. Qui dit fumée dit feu ! Seul le véhicule de fonction, et non le haut fonctionnaire, a subi le feu de la passion.

Enfin, peut-on enlever la culotte de quelqu’un et lui demander de se déculotter ? Peut-on suspendre son histoire et lui demander de suspendre sa fête ? Or, toute fête, par définition, est suspension de l’ordre et donc des ordres ! Il aurait suffi à Sangaré de dire qu’il allait fêter le kaolin à Akouré que ce serait toujours subversif. Rien ne demande plus de spontanéité que la fête !

Qu’en est-il de la seconde voix, celle du Pouvoir ? Son choix tactique est lui aussi double : dissuasion et laisser-faire. La première consiste à faire la démonstration d’une force à ne pas utiliser et accompagnée d’une monstration d’autorité. Devaient y suffire l’arrêté préfectoral, le déplacement préfectoral, les cargos de policiers et une provision de gaz lacrymogène.

Si la dissuasion ne marche pas, si on n’obtient pas la débandade des festivaliers, on se replie sur le laisser-faire parce qu’on a beaucoup à faire. Il vaut mieux faire le dos rond pendant deux jours et ne pas avoir à gérer une crise longue et médiatisée. En effet, on se fatiguerait de parler de cette fête au bout d’une semaine alors qu’un affrontement occuperait les Unes des journaux pour de nombreuses semaines. Voilà une comptabilité facile à faire mais difficile à dire. De là ce malaise dans l’expression et la démarche : suspendre et non interdire, « organiser ensemble » comme si la liberté ne devait pas être conquise contre lui, le pouvoir !

Suspendre une fête? A la différence de certains, je n’ai pas entendu ni lu le mot interdiction. Les mots expriment parfois un embarras : ni autoriser ni interdire donc suspendre ! Or, on ne suspend que ce qui a déjà commencé et qui pourra reprendre après une condition donnée, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un report car dans ce cas, on s’accorde sur le fait que le moment ne convient pas. Comment suspendre ce qui doit se produire à une date donnée et précise ?

« Elle est suspendue jusqu’à nouvel ordre. Quand la paix va revenir, on va organiser ensemble la manifestation » aurait dit le Préfet. « nouvel ordre » ? Ce serait contradictoire avec l’idée même d’une fête de la liberté. Avouons que le Préfet a dit quelque chose de révolutionnaire : que l’ensemble de la nation fête la liberté et pas seulement une indépendance que certains continuent d’attendre.

Pourquoi n’avoir pas utilisé le verbe interdire ? Tout le monde veut avoir de l’autorité sans paraitre autoritaire. Tous les pouvoirs, en raison de cela, adorent l’autocensure ! Interdire une fête, une fête de la liberté ? Juste avant la fête du travail, après la fête de Pâques dans laquelle le Sanhédrin et Pilate se sont illustrés de mauvaise manière et n’ont pu empêcher la résurrection ? Dans un environnement marqué par un Femua 10 s’efforçant d’exorciser la mort, par diverses grèves et autres calamités sociales, sans oublier la chute des prix du cacao et du pétrole… ?

Notre histoire elle-même parait suspendue au-dessus de quel précipice ? Il est vrai qu’elle ne l’est pas à un fil mais à deux hommes, ADO et HKB ! A Gbomizambo, les pagnes sont d’autant plus beaux qu’ils sont tissés avec des fils de plusieurs couleurs. Tisser un pagne pour nous protéger contre le froid ou une corde pour nous pendre nous-mêmes ? Cette question s’adresse à nous tous.

Que dire enfin du FPI Affi ? Il applique un autre conseil de Sun Tzu : « Soumettre l’ennemi sans croiser le fer est le fin du fin ». De là sa tactique qui a consisté à amorcer un double piège : occuper le terrain de la légalité et impliquer l’administration. Sûr que son piège se refermerait sur ses adversaires, on doit comprendre sa frustration qui le conduit à délégitimer ce qui apparait comme la victoire des autres.

Ce camp se positionne comme le proprio légal de la fête. Je ne comprends pas le sens juridique de cet argument mais je ne suis pas juriste. Cependant, est-il concevable que Paquinou doive rendre compte à Pâques au motif que c’est écrit dans le calendrier grégorien ? Cette comparaison est sans doute risquée et ne reflète que mon ignorance. Se poursuit ici la bataille du logo ! De là aussi la tournée d’Alépé afin de dire qui est qui et qui, dans ce défilé de mode sur la piste d’Akouré, est le plus élégant !

Mais pour empêcher, il ne suffit pas de revendiquer la légalité. Ni réquisition de la force publique, ni même son instrumentalisation, mais simple invocation d’un esprit : « force doit être à la loi ! » Nasse placée, gaule assurée, il suffisait d’attendre que l’hameçon soit avalé. Mais le piège amorcé pour désamorcer la fête n’a pas fonctionné. De là ces explications pleines d’amertume et dont la visée est de délégitimer l’adversaire.

A cette fin dernière fut utilisée une accusation à double détente : financement par le pouvoir et soutien de celui-ci proféré par des voix et des voies mystérieuses. Ce qui compte, ce ne sont pas les péripéties mais toujours le sens qu’on veut produire.

La dernière tactique consiste à délégitimer la fête en la faisant déchoir de l’ordre de la conquête à celui inférieur de la mendicité et même du deal, reconnu par tous comme moralement laid, en laissant choir la liberté dans la gibecière de l’ordre. Ils n’ont pas fait la fête mais ils ont fait la manche et pire encore, ils ont fait la carpette !

Alors, tout le monde aura été manipulé dans un sens ou un autre ! L’histoire et les conjonctures historiques réservent toujours des surprises. La guerre d’Akouré n’a pas eu lieu. Tant mieux ! A défaut de le combler, était-il sage d’élargir le fossé national ? Chacun a fait ce qu’il devait et pouvait faire. Le danger le plus grave qui nous menace ? Celui que La Boétie appelle la « servitude volontaire ».

Prof Séry Bailly

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