Côte d’Ivoire

RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… » (Épisode 4)

Mis à jour le 18 juin 2018
Publié le 07/12/2017 à 12:58 , ,

RÉCIT – « Moi, Ahmed, 37 ans, migrant ordinaire… »

C’est l’histoire, dramatique et émouvante, d’un migrant ordinaire. Il est Ivoirien et comme les autres, il a un jour de décembre 2016 décidé de partir, un rêve d’Europe en tête. Comme les autres il a été pris dans les griffes des vendeurs d’illusion, passeurs, esclavagistes, intermédiaires véreux… il n’a évité aucun des pièges qui l’attendaient en chemin. Il a tout connu de la douleur de ces jeunes africains sub-sahariens qui, du désert du Niger à la mer Méditerranée en passant par la Libye, ont tenté leur chance pour souvent trouver la mort. Lui, a réussi. Mais à quel prix? Pour les besoins du récit nous l’appellerons Ahmed. Il a accepté, depuis la France où il réside désormais en clandestin, de parler à PoleAfrique.info. Un récit glaçant que nous proposons en cinq épisodes.


Épisode 4 – L’Europe en clandestin

Résumé de l’épisode 3 – En Libye, Ahmed et son frère ont tout vécu. Le travail forcé, la séquestration, les mauvais traitements physiques et psychologiques, les humiliations, le rançonnage de leur famille… ils ont pu embarquer sur un zodiaque surchargé pour traverser la Méditerranée, au péril de leur vie. Sauvé par des gardes côtes italiens, les voici, six mois après avoir commencé leur dangereux voyage et dépensé quelques 3, 5 millions de francs (5 300 euros environ), sur le sol européen.

Perçu comme un eldorado par des millions d’africains, l’Europe est le cœur de la concentration de l’immigration clandestine. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrants (OIM), plus de 25 000 personnes ont franchi les côtes européennes par la Méditerranée en 2017. Sans statut légal, ils vivent pour la plupart dans des centres d’hébergement pour migrants. Pour Ahmed et son frère, un autre périple commence, d’autres peurs les attendent. Non plus celle de mourir mais celle de se faire, à tout moment, renvoyer dans leur pays.

« Débarqués dans un port de Sicile, nous avons été pris en charge par les autorités italiennes et des responsables de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Nous avons été enregistrés et conduits à Prato, une ville qui possède un centre pour migrants. Les services sociaux italiens ont voulu me séparer de mon petit frère, sous prétexte qu’il était mineur. J’ai refusé. L’affaire a même été portée devant un juge. Mais je suis resté ferme et l’enfant, lui non plus, n’a pas souhaité avoir un tuteur autre que moi. Ce qu’on avait traversé nous avait unis, plus que jamais. A Prato, nous étions nourris et hébergés. Nous recevions 22 euros chaque semaine, pour la gestion de notre quotidien. Il y avait même la possibilité de faire les courses dans un supermarché à proximité, quand les provisions venaient à manquer. Tout cela au compte de l’OIM. La Libye a vite été un lointain souvenir. Nous avons vécu dans ce centre pendant deux mois avant de comprendre que les choses n’allaient pas évoluer. C’était soit rester en ce lieu, sans aucune perspective d’avenir, soit partir. En plus de cela, la langue me fatiguait. Il était difficile pour moi d’apprendre l’italien, d’autant que je n’ai pas été scolarisé longtemps en Côte d’Ivoire. J’ai arrêté l’école après le primaire. Nous avons économisé le peu d’argent que nous gagnions, mon frère et moi, et avons décidé de partir en France, précisément à Paris ».

Les migrants en provenance des pays francophones d’Afrique tentent généralement, une fois arrivés en Europe, de rejoindre la France. Un choix pour la langue mais aussi pour les avantages sociaux qu’offre le pays. Pour les migrants, trouver un travail non déclaré en France, est bien plus facile qu’en Italie, où la crise sociale est plus accrue. Mais la réalité présente un tout autre décor.
« Nous avons quitté le centre des migrants de Prato, sans rien dire à personne, direction Paris. Nous avons acheté des billets pour prendre le train jusqu’à Vintimille, à la frontière entre l’Italie et la France. Là, nous avons pris un autre train, clandestinement, pour entrer en France. De jeunes africains que nous avons rencontrés à la frontière, nous ont aidés à nous cacher dans la soute à bagages du train. Notre prière, qu’on ne soit pas découvert, au risque que le rêve européen tourne court. Nous aurions sûrement été renvoyés immédiatement en Côte d’Ivoire. Gare après gare, on ne pouvait pas descendre à cause du nombre impressionnant de passagers qui montaient et descendaient du train. Il fallait rester discret. Nous sommes donc restés planqués dans cette soute jusqu’à Cannes. Malheureusement pour nous, malgré toutes nos précautions, le conducteur du train nous a surpris. Nous l’avons supplié de nous laisser partir. Nous avions peur qu’il nous dénonce. Il a été gentil avec nous tout en nous disant que nous commettions une grosse erreur en venant en Europe. Car bien loin de ce qu’on pouvait imaginer, il y a beaucoup de chômage en France. Il nous a demandé de l’attendre quelques minutes afin qu’il nous emmène à la plage, un lieu plus sûr. Il nous a rassuré qu’il n’appellerait pas la police. Confiants, nous avons fait comme il a dit. Il est revenu et nous a accompagnés sur une plage. Nous étions tout en sueur, avec des vêtements sales, conséquence de notre voyage en soute. Le chauffeur du train nous a recommandé de prendre un bain dans la mer avant de continuer notre chemin. Sur la plage, nous avons voulu acheter de la nourriture mais le vendeur nous l’a donnée. Il savait que nous étions des migrants. La gare des trains pour Paris nous a été indiquée. Nous avons embarqué en direction de la capitale française, toujours frauduleusement, mais dans un wagon de passagers cette fois, avec l’espoir qu’il n’y ait pas de contrôle, jusqu’à destination », raconte Ahmed, qui espérait retrouver sa famille à Paris.

« Ma petite sœur vit en France depuis quelques années déjà. Je l’ai appelée lorsque j’étais encore en Italie. Elle m’a mis en contact avec une personne qui devait m’attendre à Paris, si jamais j’arrivais à m’y rendre. C’est donc ce qui s’est passé car fort heureusement, notre voyage jusqu’à Paris, mon frère et moi, s’est bien passé. Ma sœur et son ami, nous attendaient à la gare. A la descente du train, elle a automatiquement conduit notre petit frère dans un salon de coiffure. Elle nous a dit qu’elle ne pouvait pas nous héberger vu qu’elle même vivait dans un centre social. Mon petit frère lui, a été confié en tant que mineur aux services sociaux. Logé dans un foyer. De mon côté, je suis resté avec l’ami de ma sœur et je devais m’acquitter de la somme de 200 euros par mois, comme loyer de la chambre dans laquelle je couchais. Nous avons cohabité pendant deux mois avant que les problèmes financiers ne m’obligent à partir. J’ai contacté une grande sœur de mon quartier d’origine qui habite à Paris par l’intermédiaire d’un vieil ami qui est son cousin. Elle a tout de suite accepté de m’héberger. Ma situation était alarmante. Sois-je trouvais un gîte, soit je dormais dans la rue. Je vis avec elle depuis deux mois maintenant. Elle est très gentille avec moi et me soutient même financièrement. Elle me demande aussi de faire attention à ne pas me faire prendre, surtout quand je sors chercher du travail. J’ai eu quelques petits boulots ici et là mais rien de concret. Sans statut social, je travaille avec les papiers d’autres personnes pendant une ou deux semaines et c’est tout. Assurer le quotidien en France est un véritable défi. Le coût de la vie est très élevé et sans boulot, c’est compliqué. Je suis allé rendre visite à mes oncles, des frères de mon défunt père. Ils vivent aussi à Paris. Pas un ne m’a demandé comment je me débrouille, depuis mon arrivée ici. Ils n’ont pas non plus voulu me prendre avec eux. Mais m’ont conseillé de ne pas demander l’asile politique. Parce que lorsque l’asile vous est refusé, on vous somme de quitter le territoire dans un délai bien défini. Pour ne pas courir ce risque, j’ai suivi leurs conseils. Je vis sans papiers, sans travail et donc sans aucune perspective professionnelle actuellement. J’ai postulé pour plusieurs petits boulots mais rien jusqu’à présent. Les choses ne se présentent malheureusement pas comme je l’avais espéré. Si je tiens, c’est grâce à la personne qui m’héberge aujourd’hui ». Rattrapé par la dure réalité de la vie de clandestin à Paris, Ahmed a perdu ses illusions. Son réconfort vient du fait que son petit frère, désormais pris en charge par les services sociaux va prochainement être à nouveau scolarisé. Pour lui, les perspectives sont plus réjouissantes. Il a également eu des nouvelles de la jeune fille sur qui il a veillé durant son terrible voyage. Un mois après lui et son frère, elle a pu monter dans une embarcation. Elle a réussi sa traversée. Elle se trouve quelque part en Italie. Prise en charge par les services sociaux, elle est scolarisée, apprend l’Italien. « On se parle sur Facebook. On est ami », dit Ahmed qui se demande si tous les risques qu’il a pris, pour lui et son frère cadet, en valaient vraiment la peine.Éric Coulibaly
Source : Rédaction Poleafrique.info

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